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Ces légistes du XIVe siècle, fondateurs et ministres de l’autocratie royale, furent soumis à la destinée commune des grands révolutionnaires ; les plus audacieux périrent sous la réaction des intérêts qu’ils avaient blessés et des mœurs qu’ils avaient refoulées[1]. Plus d’une fois la royauté fléchit dans sa nouvelle voie, et se laissa ramener en arrière par la résistance des pouvoirs et des privilèges féodaux. Mais, en dépit de ces retours inévitables, et malgré les concessions faites sous des règnes faibles, deux choses allèrent croissant toujours, le nombre des hommes libres à titre de bourgeoisie, et le mouvement qui portait cette classe d’hommes à se ranger d’une manière immédiate sous la garde et la justice du roi. Une révolution moins éclatante et moins spontanée que la révolution communale vint reprendre en sous-œuvre les résultats de celle-ci, et, par un travail lent, mais continu, faire, de mille petits états distincts, une même société rattachée à un centre unique de juridiction et de pouvoir. D’abord, il fut posé en principe que nulle commune ne pouvait s’établir sans le consentement du roi ; puis, que le roi seul pouvait créer des communes ; puis, que toutes les villes de commune ou de consulat étaient, par le fait même, sous sa seigneurie immédiate. Quand ce dernier point parut gagné, la royauté fit un pas de plus ; elle s’attribua le droit de faire des bourgeois par tout le royaume, sur le domaine d’autrui comme sur le sien. Par une fiction étrange, la bourgeoisie, droit essentiellement réel, attaché au domicile et que l’habitation conférait, devint quelque chose de personnel. On put changer de juridiction sans changer de résidence, se déclarer homme libre et citoyen sans quitter la glèbe seigneuriale, et, comme s’expriment les anciens actes, désavouer son seigneur et s’avouer bourgeois du roi[2]. Ainsi, l’association au corps des habitans d’une ville privilégiée cessa d’être l’unique moyen d’obtenir la plénitude des droits civils ; le privilège se sépara des lieux pour aller chercher les personnes, et, à côté de la bourgeoisie des cités et des communes, il créa sourdement une nouvelle classe de roturiers libres, auxquels on aurait pu donner, par exception, le titre de citoyens du royaume.

  1. Enguerrand de Marigny, pendu à Montfaucon sous le règne de Louis X ; Pierre de Latilly, chancelier de France, et Raoul de Presles, avocat du roi au parlement, tous deux mis à la torture sous le même règne ; Gérard de la Guette, Ministre de Philippe-le-Long, mort à la question en 1322 ; Pierre Frémy, ministre de Charles-le-Bel, pendu en 1328.
  2. Voyez le Glossaire du Droit français, par Laurière, et la Dissertation de Bréquigny sur les bourgeoisies, en tête du tome XII du Recueil des Ordonnances des roisde France.>