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réforme des abus ; mais cette réaction n’eut que peu de jours de violence, et Charles V, devenu roi, s’imposa de lui-même une partie de la tâche que, régent du royaume, il avait exécutée malgré lui. Son gouvernement fut arbitraire, mais régulier, économe, imbu de l’esprit d’ordre, et surtout de l’esprit national. Formé jeune à la patience et à la ruse dans une situation difficile et périlleuse, il n’eut rien de la fougue violente ou chevaleresque de ses devanciers, mais un sens froid et pratique. Avec lui la royauté présente un caractère nouveau qui la sépare du moyen-âge et la rattache aux temps modernes. Il fut le premier de ces rois venus comme réparateurs après une époque de crise, appliqués aux affaires, mettant la pensée avant l’action, habiles et persévérans, princes éminemment politiques, dont le type reparut plus frappant, sous des aspects divers, dans Louis XI et Henri IV.

Nous sommes parvenus au point où notre histoire sociale, dégagée de ses origines et complète dans ses élémens, se déroule simple et régulière comme un fleuve qui, né de plusieurs sources, forme, en avançant, une seule masse d’eau contenue entre les mêmes rives. À ce point, les forces dont l’action, simultanée ou divergente, a constitué jusqu’à nos jours le drame des changemens politiques, se montrent avec leur caractère définitif. On y trouve la royauté engagée sans retour dans la voie des traditions de Rome impériale, secondant l’esprit de civilisation et contraire à l’esprit de liberté, novatrice avec lenteur et avec la jalousie de pourvoir à tout par elle-même ; la noblesse gardant et cultivant l’héritage des mœurs germaines adoucies par le christianisme, opposant au dogme de la monarchie absolue celui de la souveraineté seigneuriale, nourrie d’orgueil et d’honneur, s’imposant le devoir du courage et croyant qu’à elle seule appartiennent les droits politiques, égoïste dans son indépendance et hautaine dans ses dévouemens, à la fois turbulente et inoccupée, méprisant le travail, peu curieuse de la science, mais contribuant au progrès commun par son goût de plus en plus vif pour les recherches du luxe, l’élégance et les plaisirs des arts ; enfin la bourgeoisie, classe moyenne de la nation, haute classe du tiers-état, sans cesse augmentée par l’accession des classes inférieures et sans cesse rapprochée de la noblesse par l’exercice des fonctions publiques et la richesse immobilière, attachée à la royauté comme à la source des réformes et des mutations sociales, prompte à saisir tous les moyens de s’élever, toutes les positions, les avantages de toute sorte collectifs ou individuels, appliquée à la culture de l’intelligence dans les directions fortes et sérieuses, habituellement résignée à une longue attente du mieux, mais capable, par intervalles, d’un désir d’action immédiate et d’un élan révolutionnaire.