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il mit à découvert l’antique opposition de l’esprit de Rome et de celui de la barbarie. Malgré le mélange que le temps a fait de toutes les populations différentes de notre pays, on peut dire qu’encore aujourd’hui ce qui paraît sur les rivages de la Méditerranée, c’est la suite des habitudes et de la civilisation de l’antiquité, tandis qu’au-dessus de la Loire se sont mieux conservés le caractère et le tempérament des races qui ont résisté à l’invasion des Romains ou qui ont brisé leur empire. Dans les querelles que cette division a perpétuées, parmi les savans, M. Fauriel comptait parmi les plus chauds défenseurs de la fécondité du génie romain. Il aimait à répéter que la barbarie était nécessairement stérile, et c’est par là que tenait surtout aux principes du XVIIIe siècle cette intelligence qui a si fortement influé sur la direction des études du siècle présent. M. Ampère abordait les mêmes questions avec un esprit moins prévenu contre la Germanie, plus versé dans la connaissance de ses origines ; tout en accordant que la chevalerie et la poésie qui en fut l’expression étaient d’abord écloses en Provence, réchauffées par les débris encore vivans de la civilisation romaine, il a fait voir quelle grande part les mœurs septentrionales de la barbarie ont eue dans les premiers essais, et, par eux, dans la constitution même de la littérature des peuples modernes.

Mais tandis que j’essaie d’indiquer dans quel état le livre de M. Fauriel va trouver la science étrangère, et quel mouvement il a déjà imprimé à la critique française, peut-être demande-t-on si ce n’est point en effet une œuvre de pure érudition, par quel côté et jusqu’à quel point il peut intéresser toutes les classes de lecteurs. L’Histoire de la poésie provençale est-elle liée à l’ensemble des opinions et des sentimens qui font aujourd’hui le destin des ouvrages ? Répondre à cette question, c’est aller, plus qu’on ne pensera peut-être d’abord, au cœur du sujet.


II.

Le moyen-âge, qui a pris une si grande place dans nos études et dans nos idées, commence à être connu par les monumens, qui, sous toutes les formes, caractérisèrent son génie, parvenu à la perfection où il pouvait atteindre. Les ouvrages de la pensée, de la poésie, de l’art, qui, au XIIe et au XIIIe siècle, firent l’honneur particulier de notre société, et qui si long-temps servirent d’exemples aux autres nations, ont été examinés, analysés, et en quelque sorte reconstruits. Par eux déjà nous pouvons nous assurer que le siècle de saint Louis avait donné à la France l’éclat littéraire, la puissance politique, la suprématie intellectuelle et civilisatrice, qui lui ont été seulement rendus par le siècle de Louis XIV. Nous sommes justement fiers de la double fortune de ces deux grands siècles accordés à notre pays ; mais, après notre orgueil, notre raison demande à se satisfaire. Comme on s’est aperçu que le siècle de Louis XIV n’était vraiment connu que de ceux qui en avaient recherché les causes et le principe dans les temps antérieurs, de même on sent que le siècle de saint Louis ne peut être séparé de ses origines. Au-delà de ces systèmes, de ces romans, de ces cathédrales, de ces desseins politiques, si relevés et si étendus, que le règne du saint roi a vus parvenir à leur maturité dans le nord de la France, il faut considérer ce qui les a produits et soutenus. Des motifs sérieux nous convient à cette étude.

Il s’est trouvé, en effet, des écrivains qui, avant même que la science du