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du passé. M. Fauriel a signalé dans le grec et dans le latin, même aux belles époques, des vestiges évidens et comme des infiltrations des formes analytiques que le peuple avait dès long-temps inventées à son usage. Il juge que c’est au Xe siècle de notre ère, et dans le pays de Narbonne, que ces formes ont absolument prévalu avec la langue romane. Peut-être faut-il regretter que M. Fauriel n’ait pas cru devoir au moins critiquer l’opinion de M. de Sismondi, qui rapportait au IXe siècle, et au pays d’Arles, élevé alors en monarchie par Bozon, la première émancipation littéraire et politique de l’idiome nouveau.

Par qui cet idiome a-t-il été écrit, autorisé, fixé ? Suivant M. Fauriel, du milieu du VIIIe siècle au milieu du IXe, le latin ayant cessé d’être parlé dans les Gaules, fut remplacé non point par cette langue romane commune que M. Raynouard avait supposée, mais par tous les dialectes différens que les diverses populations assises sur le sol y avaient dû établir avec elles ; ce fut le clergé qui s’interposa entre ces dialectes, qui les rapprocha, et dans leur fusion fit dominer le latin. Les prêtres, chargés par les décisions des conciles de traduire au peuple dans sa langue naturelle l’enseignement fait jusqu’alors dans la langue de Rome, durent tenir aussi près que possible l’un de l’autre les deux idiomes qu’ils parlaient également. Composés par eux à la fois dans les deux langues, des chants, conservés jusqu’à nous, étaient répétés pour la partie latine par le clergé, pour la partie romane par le peuple. Telles étaient aussi les représentations polyglottes que l’on donnait dans les temples et dont nous possédons des fragmens curieux. Tels encore, ou à peu près, se perpétuent dans les églises du midi de la France des chants français qui datent du XVIIe et peut-être du XVIe siècle, et que, dans les cérémonies les plus solennelles, le peuple entonne de lui-même pour alterner avec les hymnes latines des clercs.

Après le clergé, l’aristocratie a influé sur la formation de la langue et de la littérature provençale ; c’est vers la Germanie qu’elle a dû les faire incliner, surtout dans les commencemens. M. Fauriel l’a montré dans l’une des plus longues excursions de son livre. Il fonde sa démonstration sur un poème de la basse latinité, connu d’abord de Muratori par quelques fragmens, et considéré alors comme la preuve de l’origine italienne des poèmes chevaleresques, puis publié en entier par les Allemands en 1780, et donné cette fois comme traduit de leur vieille langue, enfin mieux caractérisé par la découverte de deux manuscrits de Bruxelles et de Paris qui l’attribuent à Gérald, moine de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Ce poème, ou plutôt cet épisode, qui porte le titre de Walther, montre son héros, attribué tantôt à la race espagnole et tantôt à l’Aquitaine, se mêlant à tous les personnages de la Wilhina-Saga et des Nibelungen, s’enfuyant de la cour d’Attila avec l’héritière du royaume des Burgundes, et disputant le chemin de son pays aux grands chefs des Francs, Gunther et Hagen. M. Fauriel a analysé cette composition, l’a comparée aux poèmes germaniques dont elle semble détachée, l’a rapprochée des grandes luttes que les chefs des populations aquitaines soutinrent au IXe siècle contre l’empire franc. Dans le même monument, il a ainsi trouvé l’indice certain des communications littéraires et des débats politiques que les habitans de la Gaule méridionale avaient eus, au IXe siècle, avec les races germaniques.

Charlemagne, qui, en faisant recueillir les chants des aïeux, dut fixer ou renouveler chez les méridionaux le souvenir de la Germanie, a précisé aussi leurs