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même que Raymond Vidal de Bezaudun, dans lequel on a vu le fils de Pierre Vidal de Toulouse, et par conséquent un homme vivant vers le milieu du XIIIe siècle. Ugo Faydit, ou Hugues-le-Banni, qui se donne pour l’auteur de l’autre ouvrage, pourrait bien lui-même être Hugues de Saint-Cire, prosateur et poète, rédacteur de plusieurs biographies de troubadours, versé dans les lettres antiques, et poussé, par la fortune hors de chez lui, tantôt en Espagne, tantôt en Italie, où cette première grammaire paraît en effet avoir été écrite. C’est une imitation du traité que le précepteur de saint Jérôme, OElius Donatus, le Lhomond du moyen-âge, fit au IVe siècle sur les huit parties du discours. Désignée quelquefois sous ce titre des huit parties, Las oit partz, quelquefois aussi sous celui de Donatus provençal, elle appartiendrait à la fin du XIIe siècle, si elle était réellement de la main de Hugues de Saint-Circ.

Si M. Fauriel avait connu ces monumens autrement que par la publication récente de M. Guessard, il leur aurait emprunté des lumières qui manquent à son livre. Il est à croire qu’excité par des textes tout-à-fait positifs, il aurait prêté une attention plus soutenue aux questions de grammaire et de syntaxe. Sans doute aussi il aurait plus insisté sur les dialectes provençaux. Dès la seconde page de son traité, Raymond Vidal nous apprend que le dialecte de Limoges, ayant prévalu sur ceux de Provence, d’Auvergne et de Quercy, était la véritable langue propre à faire vers, chansons et sirventes. Ainsi on explique (ce que M. de Sainte-Palaye ne sait comment motiver dans son Dictionnaire des Antiquités de la France) que les Valenciens aient donné, jusqu’à nos jours, le nom de lémosine à leur langue toute semblable au provençal primitif. C’est sous ce nom, antérieur à celui de langue d’oc, que Jayme Ier, roi d’Aragon, la porta à Valence, conquise par lui sur les Maures, au milieu du XIIIe siècle ; mais pourquoi ce nom avait-il prévalu ? Est-il aussi bien vrai que celui de dialecte provençal comprenne le dialecte de la province qui va s’appeler Languedoc à la fin du siècle ? Ne faudrait-il pas croire qu’après la guerre des Albigeois, la langue du comté de Toulouse fut comme retranchée par la proscription, qu’elle fit place, au moins officiellement, à la langue française, apportée par celui des frères de saint Louis qui épousa la fille du dernier comte, tandis que les Anglais, maîtres du Limousin comme de la Guienne, en avaient adopté la langue par une condescendance habile, et lui avaient donné une véritable supériorité politique sur tous les autres dialectes du midi ?

Le Languedoc, qui n’avait pas encore de nom dans les grammaires du XIIIe siècle, produisit bientôt des monumens philologiques non moins importans, et dont on regrette aussi que M. Fauriel n’ait pas fait usage. L’Académie des jeux floraux, instituée au XIVe siècle, pour maintenir le vieux langage national qui déjà s’effaçait, puis renouvelée à deux reprises diverses, au XVIe siècle et au XVIIe, pour maintenir la langue française qui s’était imposée, a, dans ces dernières années, accordé une attention tardive à ses archives où elle a retrouvé un des documens les plus intéressans de la littérature du moyen-âge. Sous le titre de lois d’amour, leyes d’amor, elle vient de faire imprimer un immense recueil de préceptes littéraires, rédigés en 1348 par son chancelier, Guillaume Molinier, pour conserver les traditions d’un art en déclin. La grammaire, la rhétorique, la poétique, se mêlent dans ce volumineux ouvrage, le plus minutieux et le plus considérable de tous ceux qui ont été consacrés à de semblables matières. Jamais