Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provençale. D’un côté, par les chansons des Bretons, dont il possède maintenant plus de trois mille pièces, il a fourni la preuve qu’à tous les âges les Armoricains avaient eu le don de revêtir des couleurs de la poésie les événemens de leur histoire ; il a donné en effet, dans son dernier choix, de véritables romances, que celles du Cid ne surpassent ni par la fierté des sentimens, ni par l’énergie du trait. D’un autre côté, sous le titre de Contes populaires des anciens Bretons, il a traduit et fait connaître, en 1842, une partie des légendes épiques que conservaient les Bretons du pays de Galles, et dont lady Charlotte Gnest publie le texte en Angleterre sous leur nom original de Mabinoghion. Dans ce recueil, il a trouvé des récits déjà étendus qui ont certainement servi de base aux fictions romanesques de la Table-Ronde ; il y a puisé en même temps de justes motifs de croire qu’Arthur et les autres chefs gallois, ayant conservé leur figure historique parmi les Bretons insulaires, ou n’y ayant reçu de la main des bardes qu’un déguisement mythologique, ont subi leur première transformation romanesque chez les Bretons du continent. Cette opinion, que M. Fauriel a vivement repoussée dans son cours, et à laquelle les dissertations de M. de la Villemarqué l’avaient fait revenir, ne résout pas encore toutes les difficultés. A quel point s’est arrêtée l’inspiration originale des Bretons ? Voilà la question qu’il importe de poser, et qui pourra recevoir encore bien des solutions diverses avant qu’un esprit ferme l’ait décidée. Pour se borner à un exemple, il est de toute évidence que le Pérédur des Bretons, courant à la recherche de la chaudière magique où il a aperçu la tête de son cousin, tué par les sorcières, forme le thème à moitié païen sur lequel a été modelé, par des mains chrétiennes, le Perceval des Provençaux, poursuivant, à travers des demeures et des initiations successives, le bassin pareillement merveilleux où est conservé le sang du Christ ; mais, s’il fallait admettre que le conte de Pérédur, tel qu’il a été traduit des Mabinoghion par M. de la Villemarqué, a été rédigé avant le roman de Perceval, toute la démonstration de M. Fauriel croulerait par la base, car déjà, dans le conte, le système de la chevalerie et de la cour d’Arthur paraît organisé, et enveloppe, pour ainsi dire, un fonds plus rude et plus ancien. Accorder ce fonds aux Bretons, qui, par le Poitou, ont dû le transporter aux troubadours pleins des traces vivantes de leurs communications, réserver aux Provençaux l’invention du système chevaleresque, qu’ils ont dû, à leur tour, livrer aux Bretons, c’est ce qu’il faut se plaindre que M. Fauriel n’ait pas accompli avec cette critique à la fois résolue et délicate qui seule peut achever les démonstrations.

Après avoir présenté d’une manière incomplète la transformation des légendes septentrionales dans les romans méridionaux, M. Fauriel a expliqué le retour de ces fictions dans le nord par une hypothèse dont il est impossible d’omettre l’examen. Quelques chansons composées par Rambaud de Vaqueiras et par Gaucelm Faydit, en langage mi-parti de provençal et de français, à la fin du XIIe siècle, près de cinquante ans avant que le comte Thibaut eût naturalisé dans l’idiome du nord les rhythmes du midi, ont conduit le savant historien à penser que, puisque les troubadours avaient rimé les premiers vers lyriques de la langue d’oil, ils devaient aussi en avoir rédigé eux-mêmes les premiers chants épiques. Il appuie cette conjecture, et il termine son livre par une des plus singulières erreurs où un érudit ait pu tomber.

L’imitateur allemand de notre roman de Perceval, Wolfram d’Eschenbach, a