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indigènes sont plus faciles et plus franches, l’auteur a réuni des renseignemens satisfaisans pour la province de Constantine ; mais ses informations sont moins directes, moins exactes peut-être pour les provinces du centre et de l’ouest : ce sont précisément celles qu’il importerait le plus de connaître, car il est à remarquer que le nombre et l’influence des khouan augmentent à mesure qu’on approche du Maroc. Au surplus, fussent-elles incomplètes, les révélations faites par M. de Neveu sont dès aujourd’hui pleines d’intérêt. On en va juger.


Il est un nom qui résonne sans cesse aux oreilles de l’Européen dans les rues tortueuses des villes algériennes. Un pauvre qui poursuit les passans de sa voix nasillarde implore l’assistance au nom de Dieu et d’Abd-el-Kader. Un accident funeste arrive-t-il dans la rue ; un groupe se forme : Ah ia sidi Abd-el-Kader ! Tel est le cri qui traduit l’émotion populaire. Le même nom se mêle instinctivement, comme ceux de Jésus et de Marie chez les chrétiens, aux gémissemens du malade, aux pleurs de l’enfant qu’on châtie, à toutes les expressions du chagrin ou de la souffrance. Le Français nouvellement débarqué en Algérie, ne connaissant qu’un seul Abd-el-Kader, celui qui, depuis quinze ans, paralyse les efforts de la France, commence toujours par admirer le prodigieux ascendant que cet homme a su prendre sur ses compatriotes. Ce n’est cependant pas du fameux émir qu’il s’agit, mais d’un vénérable personnage qu’on révère dans tous les pays musulmans, comme le plus grand et le plus parfait des hommes après le prophète.

La profondeur du sentiment religieux chez les Arabes se révèle par la forme des noms propres. Les quatre-vingt-dix-neuf attributs de la Divinité, selon les musulmans, forment une litanie dont les termes entrent très souvent dans la composition de ces noms. Ainsi, le mot kader, qui signifie fort, le mot rhaman, qui signifie clément, étant précédés par le mot abd, qui veut dire serviteur, forment des appellations mystiques dont le sens équivaut à serviteur du fort, serviteur du clément. Le marabout que les musulmans de tous les pays, et notamment ceux de l’Algérie, invoquent sans cesse, s’appelait donc Sidi-Abd-el-Kader-el-Djelali. Il vivait il y a plusieurs siècles à Bagdad, où sept chapelles à dômes dorés ont été élevées en son honneur. L’imagination des fidèles s’est tellement exaltée sur le compte de ce saint personnage, qu’ils l’ont placé en première ligne parmi ces rédempteurs désignés par le nom de ghouth dans les superstitions mahométanes. Suivant la croyance vulgaire, il y a un mois de l’année où Dieu envoie sur terre trois cent quatre-vingt mille calamités de toute nature, morts, blessures, maladies, épidémies, chagrins, misères. Ce déluge de maux inonderait la pauvre humanité, s’il ne se trouvait dans l’islamisme de saints personnages