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fut lancée néanmoins contre cette place ; mais le marabout qui y régnait avait promis à ses adeptes que la poudre des Turcs ne parlerait pas, et en effet les canons en batterie contre les murailles ne firent pas feu, tandis que l’artillerie des assiégés lançait la mort à coup sûr. Sans prendre la légende à la lettre, il reste avéré que les Turcs essuyèrent un désastre complet. Dans le premier accès de fureur, le dey d’Alger annonçait d’affreux projets de vengeance, lorsqu’un avertissement céleste modifia ses résolutions. Il rêva qu’il était changé en femme, et que, confondu parmi celles qui avaient été ses humbles esclaves, il était devenu pour tout le monde un objet de mépris. Le réveil aurait dû dissiper cette impression fâcheuse ; mais la superstition ne raisonne pas. Dès cet instant, le persécuteur acharné des frères Tsidjani devint un protecteur généreux. Il s’empressa de faire écrire au marabout pour le supplier d’agréer ses excuses, et de le compter au nombre de ses serviteurs dévoués. Pour gage de sa bonne foi, il lui fit de grands présens en bétail, en étoffes précieuses, en parfums exquis, en tapis et en cierges destinés à la décoration des mosquées de l’ordre. On ne sait pas pourquoi Sidi-Hamet-Tsidjani quitta le pays où son autorité était ainsi confirmée pour aller braver de nouvelles épreuves dans le Maroc. Sa vertu triompha également de la malveillance des euléma marocains, et aucune tribulation n’affligea ses dernières années.

Le successeur qu’il désigna, Sidi-Hadj-Ali, quitta Fez pour revenir à Aïn-Madhi, berceau de la secte. Ce second khalifa, plus riche encore que le premier, puisqu’il avait à son service huit cents esclaves noirs, consacra également sa fortune aux bonnes œuvres. Il mourut en 1844, en laissant un nom généralement vénéré. Le chef actuel de l’ordre est le fils du premier fondateur. Il se fait honneur de conserver les généreuses traditions de son père, et plusieurs Français qui l’ont visité en 1844 ont reçu de lui une noble hospitalité. Presque tous les habitans d’Aïn-Madhi et de Temassin, ainsi que la plupart des nomades du Sahara, ont adopté la rose de Sidi-Hamet-Tsidjani. Ce même ordre a des affiliations dans toute l’Afrique musulmane et même en Arabie. Il possède quatre mosquées à Tunis, deux à Constantine, deux à Alger, une à Bône, etc. Les khouan ont à faire trois prières par jour. Le matin, après avoir dit cent fois de suite Dieu pardonne, ils doivent répéter cent fois l’oraison suivante : « O Dieu ! la prière sur notre seigneur Mohammed, qui a ouvert tout ce qui était fermé, qui a mis le sceau à ce qui a précédé, faisant triompher le droit par le droit ! Il conduit dans une voie droite et élevée. Sa puissance et son pouvoir magnifiques sont basés sur le droit. » On termine enfin par la sainte formule répétée cent fois : « Il n’y a de Dieu que Dieu, etc. » A la prière de trois heures, il faut dire trente fois la première invocation, cinquante fois la deuxième, et cent fois la troisième. La prière du soir est la même que celle du matin.