Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’initié, qui le lit et l’avale. Ce dernier jure sur le Koran d’observer fidèlement les statuts de l’ordre, de s’unir à ses frères à la vie et à la mort, de ne reculer devant aucun danger, aucune souffrance, pour le triomphe de la foi, et enfin, si la guerre sainte vient à éclater, d’accomplir en aveugle tous les ordres qui lui seront donnés par son chef. On chante ensuite la prière sacramentelle : La ilah, etc., suivant la forme liturgique indiquée plus haut.

L’organisation des Derkaoua révèle les préoccupations politiques de la secte : c’est une hiérarchie despotique, modérée par certaines formes républicaines. Le sultan marabout, chef suprême de l’ordre, a pour ministres des khalifa trésoriers : les officiers de ceux-ci sont des cheik chargés de la surveillance des armes et des munitions ; enfin des agens subalternes, sous le nom d’agha, servent d’intermédiaires entre les simples frères et les chefs supérieurs. Les emplois, décernés à la majorité des voix, sauf l’approbation du sultan marabout, sont à vie. Le titulaire peut néanmoins se démettre volontairement : s’il se rend indigne de la confiance de ses frères, il est frappé de destitution, et la destitution entraîne presque toujours la mort. Lorsque, dans les élections, les suffrages sont également partagés entre deux candidats, on ouvre le Koran devant eux, et celui qui en fait l’application la plus heureuse aux doctrines de la secte est alors préféré.

La corporation des Derkaoua se subdivise aujourd’hui en deux branches, dont l’une fleurit au Maroc, et l’autre en Algérie. Les Derkaoua marocains paraissent avoir conservé un caractère religieux plus que ceux de l’ancienne régence. Assez nombreux, assez influens pour se faire respecter par l’empereur, ils ne lui inspirent pas d’inquiétudes sérieuses. Ils ont pour chef en ce moment un marabout nommé Sidi-Mohammed-el-Harag, qui réside à Tétouan ; celui-ci a pour khalifa principal El-Hadj-ben-Abd-el-Moumen, qui demeure à Ghamera, dans les montagnes du Rif. En Algérie, la secte est beaucoup moins répandue. Assez influente dans la province d’Oran, elle compte déjà moins d’adeptes dans le centre, et est à peu près inconnue dans la région de Constantine. Les cimes de l’Ouer-Senis, refuge ordinaire des révoltés, offrent de sûrs abris aux supérieurs de l’ordre. Parmi les trois grands chefs se trouvent aujourd’hui deux proches parens d’Abd-el-Kader, qui est lui-même le fils d’un célèbre Derkaoui. Le sultan marabout de la branche algérienne, nommé Sidi-Abd-el-Kader-Bou-Taleb, est le cousin de notre fameux ennemi, et l’un des deux khalifa trésoriers, Sidi-Moustafa-Ould-Mâhi-ed-Din, en est le propre frère. Dans les pays soumis à nos armes, la tendance de la secte est plus politique que religieuse ; l’insubordination est si bien passée dans les habitudes des Derkaoua, que leur nom est devenu, même pour les indigènes, un synonyme de