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les propos qui s’échangèrent entre Soubise et des Adrets, quand le premier adressa au second les reproches dont les protestans et particulièrement le prince de Condé l’avaient chargé d’être l’interprète. Les ménagemens oratoires employés par Soubise dans cette entrevue sont au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. On dirait un homme chargé d’entrer dans la cage d’un lion affamé et de s’enfermer avec lui pour l’engager à ne plus manger. Voici ce qu’osa dire Soubise à des Adrets :

« Si on n’était pas content de tant d’illustres services que vous avez rendus à la cause commune, ce serait un triste préjugé pour nous qui ne prétendons que les égaler. En un autre, on appellerait cruauté ce qui en vous passe pour un de ces emportemens extraordinaires de la vertu héroïque. Les autres chefs n’épargnent pas le sang de leurs ennemis dans les combats : néanmoins il faut s’accommoder aux sentimens de la multitude pour la gagner ; nous combattons pour la religion et non pour le commandement. Un peu plus de douceur sera un lien qui attachera plus étroitement les peuples à nous et qu’ils ne voudront jamais rompre, parce qu’ils l’aimeront : tout fuit devant ces conquérans qui tuent tout. N’ensanglantons pas la victoire. »

Ce beau langage n’empêcha pas des Adrets de comprendre que Soubise le blâmait au nom du prince de Condé et du parti protestant ; sa réponse est très remarquable de forme et de pensée. « J’avoue que bien des raisons m’ont souvent persuadé d’user de tout le droit de la victoire dans toute sa rigueur. Quelles cruautés n’ont pas exercées nos ennemis ! Je ne fais que les imiter, et je ne les ai suivis que de bien loin. On les loue, si on me blâme. Je n’ai pas offensé l’humanité quand je lui ai sacrifié des hommes qui suivaient un parti où il y en a si peu pour le nôtre. Je les ai forcés à nous craindre. Quand nous allons à eux, la terreur marche devant nous. Leurs villes et leurs meilleures places m’ont été rendues avant que j’eusse formé le dessein de les attaquer : elles se sont prises elles-mêmes pour moi. Nos ennemis voient mes conquêtes avec étonnement et avec désespoir. Si je change de méthode, je perds tous mes avantages et je me perds. On ne s’assure jamais mieux ses conquêtes que par les mêmes moyens que l’on a employés à les faire. »

La glace était rompue. Le baron des Adrets était en défaveur. Il eut beau, pour prouver son autorité, faire encore jeter du haut de la tour de Mornas deux cents catholiques, son règne finissait. Jacques de Savoie, duc de Nemours, négocia la défection du baron à ce moment d’arrêt dans sa vie orageuse, vie d’aventures et de triomphes qu’il aurait pu continuer et prolonger encore long-temps, malgré les remontrances des chefs protestans, si, par amour-propre blessé, il n’eût abandonné leur cause.

Le premier acte de trahison que commit le baron envers son parti