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colonisation dont ils se glorifiaient à une autre époque. La Grande-Bretagne, au contraire, ne s’arrête point ; sans cesse elle renouvelle ses efforts. C’est le mérite de sa politique de chercher à mettre ses projets d’agrandissement sous l’égide d’un rôle utile. De grands intérêts sont en souffrance dans la Malaisie, l’Angleterre vient leur offrir son appui et son active protection. Elle s’adresse au sultan de Borneo, elle parvient à lui inspirer le désir de voir ses côtes débarrassées des pirates, et, pour faciliter l’accomplissement de cette tâche difficile, elle obtient de lui un pied-à-terre dans ses états. Si les Anglais délivrent l’archipel des brigands qui l’infestent, ils auront rendu un signalé service au commerce local et au commerce européen. Les développemens de leurs affaires en Chine et les relations de Singapore avec les îles de l’archipel les mettent en mesure d’en profiter les premiers. Néanmoins ils se sont assurés d’avance un prix considérable en obtenant l’île de Laboan, d’où ils pourront s’étendre au gré de leur intérêt et aux dépens du faible prince qui les appelle.

Deux expéditions habilement conduites, par le capitaine Henry Keppel accompagné de M. Brooke, contre les pirates du Sakarran et du Sarebus, avant même la cession territoriale, avaient nettoyé ces deux rivières et montré au sultan la force de ses nouveaux amis. Un grand nombre de Malais et de Dyaks, montés sur leurs prahus et attirés les uns par curiosité, les autres par attachement au gouverneur de Sarawak, le plus grand nombre par l’appât du butin ou la soif de la vengeance, voulurent prendre part à ces vigoureux coups de main. La cruauté des indigènes trouva là une occasion de s’exercer, et c’est à ce titre surtout que le récit de ces deux campagnes appelle notre attention.

La première expédition eut lieu au mois de juin 1843. En remontant le Sarebus, la flottille anglaise fut inquiétée de temps en temps par quelques centaines de sauvages venant échanger des coups de fusil sur la rive après avoir poussé leur terrible cri de guerre. Un peu au-dessous de Paddi, l’un des principaux villages des pirates, le fleuve avait été barré par deux rangs d’arbres enfoncés dans la vase, et dont les sommets étaient réunis par d’autres arbres jetés en travers et solidement attachés les uns aux autres. L’obstacle semblait d’autant plus redoutable que les forts de Paddi, qu’on avait en vue, commencèrent aussitôt à tirer sur les barques. Cependant, comme les canons mal pointés portaient trop haut, on réussit, sans être trop maltraité, à s’ouvrir un passage à travers la barrière, en détachant ou en coupant les liens qui joignaient les troncs d’arbres. A la vue de ce succès, les sauvages, saisis d’un effroi soudain, abandonnèrent leur poste pour s’enfuir dans les jungles environnantes. Le village fut livré aux flammes, et l’incendie dura toute la nuit.

Une tribu sauvage, les Dyaks de Linga, formant un corps de huit ou