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évidente ne permettra aucun subterfuge, l’effet moral sera grand, et la piraterie de long cours promptement abandonnée.

Les prahus isolées auront plus de chances d’échapper, mais leur brigandage est moins à craindre, et, comme les profits deviendront plus douteux sous la surveillance des croisières, il est permis d’espérer que cette déplorable industrie cessera de désoler ces contrées. Avant de saisir des bateaux indigènes naviguant seuls au milieu de l’archipel, les commandans des forces britanniques devront constater avec un soin scrupuleux l’objet de la course, s’ils tiennent à ne pas troubler eux-mêmes la liberté du commerce, et à ne point donner l’occasion de dire qu’ils inquiètent plus ou moins les indigènes, suivant que leurs barques trafiquent avec les ports anglais, ou visitent les colonies hollandaises et espagnoles. Le complément indispensable de tout système de répression sera de fermer les marchés aux pirates, en amenant les gouvernemens de Borneo et de Soulou à refuser de les recevoir dans leurs ports.

La Grande-Bretagne connaît maintenant le terrain sur lequel elle va s’établir. A des renseignemens antérieurs, datés de diverses époques, elle a joint ceux que M. Brooke a recueillis et ceux qu’ont obtenus la Didon, le Phlegeton, le Samarang, et les autres bâtimens de guerre qui ont récemment visité les côtes de l’île. C’est après ces explorations qu’elle a traité avec le sultan d’une concession territoriale. Là s’arrête la première phase de l’occupation. Les événemens qui se sont passés à Borneo, on les retrouve au début de toutes les colonies anglaises. L’examen des lieux, l’étude des ressources d’un pays, sont presque toujours facilités par les hardis efforts de quelque aventurier. Puis s’ouvre la période vraiment active. Cette seconde phase commencera pour Laboan avec les mesures prises contre les pirates sur une échelle plus étendre que les expéditions de la Didon, et avec les difficultés qui peuvent survenir soit de la part des pouvoirs indigènes, soit de la part de certaines nations européennes.

Nous souhaitons que l’Angleterre réussisse ; la destruction de la piraterie malaise importe à la civilisation, elle ouvrira au commerce une arène inconnue. Puisque les peuples dont les intérêts sont le plus immédiatement engagés dans l’archipel asiatique manquent des forces nécessaires, ou se résignent à une torpeur fatale, nous ne viendrons point reprocher à la Grande-Bretagne d’apporter là sa puissance et sa volonté. Toutefois, que les regards de l’Europe suivent attentivement l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle prend la responsabilité, que les Hollandais et les Espagnols se préoccupent de la conservation de leurs droits : la politique le commande au double point de vue de l’intérêt général du monde civilisé et de l’intérêt particulier de chaque nation.