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jamais dit qu’il n’est pas de notre devoir de faire tout le bien qui dépend de nous ; » — non, sans doute, aurait-on pu lui répondre, mais vous avez entrepris de démontrer, sans preuves suffisantes, qu’il ne dépend pas de nous de faire le bien, et vos argumens, souvent contestables, sont devenus des oracles pour l’égoïsme. Vous justifiez l’inertie des politiques sans cœur, vous propagez un fatalisme désolant, et on ne saurait nier qu’en fermant votre livre, on ne garde un sentiment d’impuissance, un découragement funeste aux classes souffrantes.

En résumé, si Malthus a émis des vérités utiles, il a souvent poussé la vérité jusqu’à ce point d’exagération où l’erreur commence. Il a fait du bien sans aucun doute ; je crains aussi que ses doctrines ne soient devenues parfois l’occasion du mal. En pénétrant avec sagacité les phénomènes qui se rapportent aux mouvemens des populations, en démontrant, contre l’avis unanime des hommes d’état de son temps, que le bonheur d’un pays, sa force politique, dépendent, non pas du chiffre de ses habitans, mais du rapport de la population à la quantité et surtout à la vertu nutritive des alimens disponibles, Malthus a rendu un service aux sociétés. Le mal causé par ce même philosophe découle des efforts qu’il a faits pour affranchir les législateurs de la responsabilité de leurs fautes. On doit lui reprocher d’avoir présenté la misère publique comme une fatalité à peu près inévitable, d’avoir réfuté par de prétendues lois naturelles les espérances de réforme les plus légitimes. Persuadons-nous, au contraire, que la misère est la cause plutôt que l’effet de l’excès de population ; à ce mal dont l’Europe s’inquiète avec raison, cherchons un remède, non pas, comme les disciples de Malthus, dans de vaines prédications morales à ceux que le malheur a démoralisés, mais dans un ensemble de réformes économiques ou politiques, favorables aux classes affaissées aujourd’hui ; réformes dont l’initiative doit être prise par les hommes d’état, à moins qu’ils ne préfèrent les attendre des violences d’une révolution.

A. Cochut.