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M. Rauch jouit à Berlin d’une popularité qu’on s’accorde à proclamer légitime. Il a voulu aux suffrages de l’Allemagne, qu’il a obtenus depuis long-temps, ajouter les suffrages de la France, que tant d’artistes étrangers briguent à l’envi. Loin de moi la pensée de prétendre juger M. Rauch d’après la figure qu’il nous a envoyée cette année ! Il a produit depuis quinze ans des œuvres nombreuses ; il a peuplé l’Allemagne de ses statues. Il y aurait donc de la présomption, de la témérité, à chercher dans la figure exposée au Louvre la mesure précise et complète de son talent. La seule chose qui nous soit permise, c’est de juger cette figure en elle-même, sans essayer d’en tirer une conclusion générale sur le savoir et l’habileté de l’auteur. C’est une des statues de la Victoire qui décorent la Walhalla en Bavière. Nous ne savons pas si le modèle en plâtre, que nous avons sous les yeux, est exécuté dans les mêmes proportions, ou si les proportions sont agrandies ; ce que nous devons dire comme l’expression sincère de notre conviction, c’est que cette figure n’a pas un caractère monumental. La tête manque de noblesse et de fierté ; les bras n’ont pas la force semi-virile qu’on s’attend à trouver dans une figure de la Victoire. Quant à la draperie, elle n’a ni l’ampleur, ni la souplesse qui conviennent à tous les sujets, ni la majesté qui convient expressément à une figure presque divine. Si la statue de M. Rauch n’a pas attiré l’attention, l’auteur ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Il ne doit pas accuser la France d’injustice ou d’indifférence. Qu’il envoie à Paris un ouvrage d’une véritable importance ; qu’il choisisse parmi ses nombreuses créations une de celles qu’il préfère, et qu’il ne doute pas du soin avec lequel nous l’étudierons. La France se distingue entre toutes les nations par son impartialité généreuse. Elle juge les œuvres des artistes étrangers sans aveuglement, sans jalousie ; mais elle n’est pas habituée à prodiguer ses suffrages, elle ne les accorde qu’à ceux qui se donnent la peine de les mériter. Si M. Rauch veut être applaudi chez nous, comme il l’est depuis long-temps en Allemagne, qu’il nous traite moins légèrement, et il n’aura pas à se repentir du respect qu’il nous aura témoigné. Nous ajournons volontiers toute conclusion générale sur la valeur de son talent. Nous n’approuvons pas ce qu’il nous a montré cette année, mais nous sommes très disposé à croire qu’il a souvent fait beaucoup mieux. Qu’il nous prouve que notre espérance est fondée sur la raison, et nous le proclamerons avec plaisir.

Il y a, dans le groupe des Fils de Niobé, de M. Grass, une connaissance évidente des problèmes que le sculpteur doit se proposer. Le sujet est bien choisi, et convient merveilleusement à l’art que M. Grass professe. L’exécution a-t-elle complètement répondu aux excellentes intentions, au goût éclairé de l’auteur ? C’est à l’analyse qu’il appartient de répondre à cette question. Les lignes de ce groupe sont-elles heureuses ? charment-elles par la simplicité, par l’harmonie ? Il suffit de