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grace à cette manière de comprendre son sujet, il a composé une œuvre qui réunira de nombreux suffrages. Il serait à désirer que l’exemple donné par M. Lacroix trouvât de nombreux imitateurs, et que les jeunes architectes, en attendant l’heure de réaliser leur pensée d’une façon définitive, en pierre ou en marbre, ne s’en tinssent pas à de simples restaurations. Dans l’architecture, comme dans les autres arts du dessin, la connaissance du passé est sans doute une chose fort importante ; mais, tout en étudiant le passé, ils ne devraient pas se croire dispensés d’inventer.

Avant de terminer, nous avons quelques omissions à réparer. Nous n’avons rien dit d’un très beau lion exécuté à l’aquarelle par M. Eugène Delacroix. Nous n’avons pas mentionné non plus un charmant petit paysage de M. Français, dont les figures sont de M. Meissonnier. Nous aurions dû parler des Contrebandiers espagnols, de M. Adolphe Leleux, de la Noce bretonne, de M. Couveley, du Lendemain d’une Tempête, de M. Duveau. Il y a dans ces trois derniers ouvrages un naturel, une vérité, que nous signalons avec plaisir.

Pouvons-nous maintenant formuler une conclusion générale sur l’état de l’école française en 1846 ? pouvons-nous, avec une sécurité parfaite, sans être accusé de présomption, dire quelle est la tendance, quelles sont les doctrines de l’école française ? Nous ne le pensons pas. Trop de noms importans ont manqué à l’appel, pour qu’il nous soit permis de ne pas tenir compte de leur absence ; nous avons vu de M. Jules Dupré de beaux paysages qui signalent chez lui un progrès éclatant. M. Paul Huet a rapporté d’Italie des dessins à la plume qui se distinguent par le mouvement et la franchise. M. Barye a terminé un groupe en bronze d’Angélique et Roger, dans lequel il a su allier la grace et l’énergie. Si nous voulions formuler une conclusion générale, il faudrait donc faire figurer parmi les élémens de notre conviction plusieurs ouvrages qui n’ont pas été exposés au Louvre. Aussi croyons-nous devoir ne pas conclure aujourd’hui, puisque nous ne pourrions le faire sans témérité. Quant au reproche de pessimisme qui nous a été adressé par quelques esprits irréfléchis, nous l’avons entendu sans l’accepter. Nous avons pu nous tromper, c’est le lot commun de tous ceux qui expriment leur pensée sur les œuvres divines ou humaines ; mais du moins, en parlant, nous n’avons jamais consulté que l’intérêt de la vérité, ou, si l’on veut, de ce que nous avons pris pour la vérité. Nous avons étudié, selon les forces de notre intelligence, les œuvres que nous voulions juger, et nous avons dit ce que nous en pensons avec une franchise absolue, sans tenir compte de nos amitiés ; car nous sommes de ceux qui croient qu’on doit la vérité même à ses amis. C’est un principe profondément enraciné dans notre conscience, avec lequel nous vivons depuis long-temps, qui nous a guidé depuis que nous écrivons, et que nous ne voulons pas abandonner.


GUSTAVE PLANCHE.