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d’être saisie d’un projet de M. le ministre de l’instruction publique, qui triple les dépenses du service de l’instruction primaire, en élevant au minimum de six cents francs le traitement fixe des instituteurs communaux de troisième classe. On voit que, des quatre conditions indiquées plus haut, il en est une qui déjà nous fait défaut. Nous avions donc raison de dire que la situation financière du pays doit fixer toute l’attention de ses représentans. Nous reconnaissons sans hésiter que la plupart des travaux entrepris sont utiles, et qu’en les exécutant on ouvre une source de richesses nouvelles ; mais cela n’empêche pas que le trésor n’ait contracté des engagemens imprudens, pour ne pas dire téméraires, puisque le plus léger incident peut en rendre la réalisation impossible. La France est peut-être assez riche foncièrement pour ne pas appréhender la banqueroute, mais il ne faut pas laisser croire à l’Europe que, par le fait de son gouvernement, elle peut y être exposée.

Si, dans les conseils de prudence et d’économie que nous donnons au pouvoir, nous avions une exception à faire, ce serait assurément dans l’intérêt du projet soumis par M. le ministre de l’instruction publique. La loi de 1833 a fait aux instituteurs primaires une situation impossible. Améliorer cette situation, c’est contribuer à moraliser les instituteurs eux-mêmes, et ce vœu a été fréquemment exprimé dans l’une et l’autre chambre. Nous croyons cependant que le projet de M. de Salvandy donnera lieu à de graves objections. La chambre admettra difficilement le remplacement de la rétribution scolaire mensuelle par une rétribution annuelle, rendue obligatoire pour tous les parens qui auraient présenté leurs enfans à l’école. Elle craindra de diminuer ainsi le nombre des élèves, particulièrement dans les campagnes, où les enfans rendent à l’agriculture, durant une partie de l’année, des services précieux. Il est une autre disposition qui rencontrera des objections non moins graves, quoique d’une nature différente : c’est celle qui tend à subordonner à une présentation académique le droit des conseils municipaux quant à la nomination des instituteurs primaires. Cette restriction à la faculté qu’attribue la loi du 28 juin 1833 à l’autorité municipale paraît avoir été vivement repoussée dans les bureaux, qui ont admis sans difficulté le principe de la loi nouvelle. Ce projet, d’ailleurs, n’est qu’une louable manifestation, et n’aboutira pas même à un rapport. L’année prochaine, la loi sur l’instruction primaire viendra à la suite du projet sur l’instruction secondaire, et les plus hauts problèmes de l’ordre moral seront abordés et résolus.

La discussion des crédits supplémentaires a été toute politique. C’est une préface aux élections, qui va continuer la semaine prochaine dans le débat du budget. La confection des listes électorales, les manœuvres de l’administration et l’inégale répartition des secours accordés aux arrondissemens ont fait les frais de cette lutte, plus spirituelle que passionnée. Il paraît que, pour cette fois, l’action du ministère se concentre sur certains arrondissemens électoraux où il croit à la possibilité d’une victoire, et où ses agens s’efforcent de la préparer à grand renfort de moyens et de zèle. hors de là, l’administration paraît être impartiale et régulière ; mais, sur ce théâtre d’un prochain combat, la lutte est déjà aussi acharnée qu’au jour même du scrutin. Ce sont les députés particulièrement traqués par les préfets, à raison de leurs mauvaises chances électorales, qui sont venus révéler à la chambre des choses fort coupables assurément, mais dont elle