Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On avait pu croire d’abord que les longs retards que rencontrait la mesure et l’élément nouveau introduit dans la question par le bill contre l’Irlande préjudicieraient aux projets du premier ministre et pourraient rendre quelques chances à l’aristocratie territoriale ; mais ce parti a perdu chaque jour du terrain, et l’opinion publique est tellement puissante, qu’il semble désormais hésiter même à l’affronter. Il n’est pas dans le parlement un seul nom quelque peu connu, si on en excepte celui de M. Disraëli, ennemi personnel de sir Robert Peel, qui ne se soit rangé sous la bannière de la liberté commerciale, et c’est sur le turf d’Epsom que l’opposition tory est contrainte d’aller chercher un chef, fort inconnu dans le monde parlementaire, en la personne de lord George Bentinck, fils du duc de Portland. C’était là le dernier signe d’impuissance que pût donner le parti des ducs. La chambre des lords est profondément blessée ; mais elle reconnaît l’impossibilité d’engager une lutte qui amènerait pour la noblesse des périls effroyables et trop certains : pressée par l’action du gouvernement et par celle de la cour, abandonnée des gens d’esprit, condamnée à se voir défendre par le dandysme, la chambre haute se résigne, et l’on sait combien la résignation devient facile en Angleterre, lorsqu’une grande opinion est éclairée sur l’impossibilité d’une résistance efficace. L’émancipation catholique et la réforme parlementaire l’ont surabondamment prouvé : l’abolition des corn-laws va en fournir une preuve nouvelle. Les derniers renseignemens venus de Londres laissent penser que le débat sera court au sein de la chambre haute, et que dans quelques semaines on verra fonctionner le grand plan financier de sir Robert Peel.

Aucune complication immédiate ne paraît devoir menacer le cabinet anglais du côté des États-Unis. Le vote du sénat, pressenti depuis plusieurs semaines en Europe, rend la guerre impossible, et la majorité considérable à laquelle il a été émis ne peut manquer d’exercer de l’influence sur la résolution de la chambre des représentans. L’effet moral produit par la réforme financière du premier lord de la trésorerie a calmé d’ailleurs pour un temps l’humeur belliqueuse des négocians et des planteurs ; on veut profiter des bénéfices du tarif, et les opinions démocratiques, pas plus que les intérêts bourgeois, ne sont à l’abri de pareilles tentations. Il est donc à présumer qu’une négociation va s’ouvrir sur la base du 49° degré, et qu’à Londres on n’opposera plus à M. Mac-Lane, ministre américain, le refus péremptoire qu’ont si long-temps rencontré ses prédécesseurs. On aimera mieux renoncer à la Colombia qu’à la paix, et c’est ainsi qu’en annonçant l’intention de s’emparer du tout, les États-Unis ont pris le meilleur moyen de se faire attribuer une partie.

L’une des causes qui vont contribuer le plus puissamment à assoupir à Washington la question de l’Orégon, ce sont les incidens nouveaux qui se préparent au Mexique, et la folle déclaration de guerre lancée par un gouvernement aux abois contre la puissante république du nord. Il est impossible de servir plus heureusement les intérêts de l’Union et les passions de la démocratie américaine, car c’est donner une sorte de légitimité à ses entreprises les plus hardies et préparer la réalisation de tous ses rêves.

Chaque arrivage nous apporte des preuves multipliées de la décomposition sociale à laquelle le Mexique est en proie, et de l’imminence de la crise qui va