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tels que Malique Alabez et Muza y Gazul, sont restés célèbres dans les annales de la tauromachie. Isabelle-la-Catholique arrêta cet élan. Elle n’aimait pas les taureaux, comme on dit en Espagne. Après avoir assisté avec horreur à une de ces fêtes déjà si populaires, elle annonça l’intention de les défendre dans tout le royaume. Cette menace mit en deuil la jeune noblesse ; on conjura la reine, on la fit supplier de toutes les manières : elle fut inflexible ; enfin on promit d’envelopper de bourrelets de cuir les cornes des taureaux. Grace à cet expédient, qui devait rendre beaucoup plus rares les blessures graves, l’Espagne conserva son spectacle favori ; on combattit quelque temps des taureaux embolados ; puis, la reine oubliant ou faisant semblant d’oublier ses défenses, on supprima les bourrelets et l’on rendit à ces combats leurs chances meurtrières, c’est-à-dire leur plus grand intérêt. A la longue cependant, l’aversion secrète de la reine, que plus d’un courtisan feignait de partager, eût été fatale à la tauromachie, et il était urgent qu’un protecteur puissant vînt lui rendre sa splendeur première. Charles-Quint fut cet homme. Disons-le à l’éternel honneur des amateurs de taureaux, Charles-Quint fut le type parfait de l’aficionado. Non-seulement il encouragea sans cesse par sa présence, par ses conseils, par ses applaudissemens, ce spectacle viril, mais souvent il parut en personne dans l’arène, et, maître d’un empire « ou le soleil ne se couchait jamais, » il rêva et il conquit la gloire d’un vaillant torero. Et ce ne fut pas seulement un caprice de jeunesse, il conserva tard ce goût et ces habitudes. L’histoire raconte qu’à la naissance de son fils Philippe II (il avait 27 ans alors), il tua, sur la place de Valladolid, un superbe taureau de Ronda. A dater de cette époque, une quantité de héros célèbres voulurent, à son imitation, se faire une réputation dans la place, et les annales tauromachiques ont enregistré fastueusement les noms de Pizarre, presque aussi fameux par ses estocades que par la conquête du Pérou, du roi don Sébastien de Portugal, et de Ramirez de Haro, le plus habile de tous. La thébaïde qui entoure les murs sombres de l’Escurial plaisait plus que les réjouissances publiques au morose Philippe II : il ne songea guère au cirque de Madrid ; mais Philippe III le fit rebâtir, et Philippe IV y combattit lui-même. Sous son malheureux règne, on imprima les premières règles de la tauromachie. A en juger par ce petit code, qui nous est resté, les courses de cette époque ne ressemblaient nullement à celles de la nôtre. On combattait les taureaux à cheval et à la lance ; c’était la seule méthode que pussent suivre les seigneurs qui descendaient dans le cirque par bravade ou par plaisir, sans vouloir faire de ce divertissement une étude exclusive. Pour recevoir sur un bon cheval et la lance au poing la charge d’un taureau, il suffit d’avoir beaucoup de courage et de vigueur, tandis que pour attaquer de front, à pied, comme font les