Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet esprit de résistance de la bourgeoisie française était encouragé par des événemens extérieurs, par l’exemple de la ville de Gand, qui, à la tête d’un parti formé dans les communes de Flandre, soutenait la guerre contre le souverain du pays au nom des libertés municipales. Entre les bourgeois de France et les Flamands insurgés, il y avait non-seulement sympathie, mais correspondance par lettres, avec promesse d’efforts mutuels pour le succès d’une même cause, et dans cette cause étaient comprises la défense des privilèges locaux contre le pouvoir central et l’hostilité des classes roturières contre la noblesse[1] La question ainsi posée réunit dans un intérêt commun la royauté et le baronnage, mal disposés à s’entendre sur le fait des impôts levés sans demande préalable et sans octroi. Un grand coup fut frappé en Flandre par l’intervention d’une armée française et de Charles VI en personne ; cette campagne victorieuse, qui eut l’aspect et le sens d’un triomphe de la noblesse sur la roture, amena au retour, contre les villes coupables de mutinerie, une suite de mesures violentes, où la vengeance du pouvoir fut mêlée de réaction aristocratique. L’armée royale fit son entrée à Paris comme dans une ville conquise, brisant les barrières, et passant sur les portes abattues de leurs gonds. Le jour même, trois cents personnes, l’élite de la bourgeoisie, furent arrêtées et jetées en prison, et, le lendemain, les libertés immémoriales de la ville, son échevinage, sa juridiction, sa milice, l’existence indépendante de ses corps d’arts et métiers furent abolis par une ordonnance du roi[2]. Il y eut de nombreuses exécutions à mort, et entre autres celle d’un riche marchand, qui, jeune, avait figuré dans les émeutes de 1358 ; puis un acte de clémence, commuant pour le reste des détenus la peine criminelle en peine civile, frappa la haute bourgeoisie parisienne d’amendes équivalant presque à la confiscation des biens. Rouen, Amiens, Troyes, Orléans, Reims, Châlons et Sens furent punis de même par la suppression de leurs droits municipaux, par des supplices, des proscriptions et des exactions ruineuses. L’argent levé ainsi montait à des sommes immenses, mais les princes et les gens de cour pillèrent de telle sorte qu’il n’en vint pas le tiers au trésor royal[3].

Vingt-neuf ans se passèrent, durant lesquels, aux désordres d’une

  1. Chronique du religieux de Saint-Denis, t. I, p. 132. -Hist. de Charles VI, par Juvénal des Ursins, Mémoires, etc., t. II, p. 356. — Chron. de Froissart, liv. II, ch. CLXXXVIII.
  2. Chron. du religieux de Saint-Denis, t. I, p. 230 et suiv. — Ordonnance du 27 janvier 1383 (1382 vieux style), Recueil des Ordonnances des rois de France, t. VI, p. 685.
  3. Chron. du religieux de Saint-Denis, t. I, p. 240 et suiv. — Chron. de Froissart, liv. II, ch. CCV. — Hist. de Charles VI, par Juvénal des Ursins, Mémoires, etc., t. II, p. 357 et suiv.