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et leur tenue périodique[1] ; entre ce vœu et l’inauguration du gouvernement par assemblées, il s’écoula plus de trois siècles. Dans cet intervalle se place un grand fait particulier à notre histoire, le rôle politique du parlement de Paris. C’est du sein de la corporation de bourgeois légistes qui, investie de l’autorité judiciaire, avait fondé pour le roi le pouvoir absolu, et pour la nation le droit commun, que sortit au XVIe siècle un contrôle assidu, éclairé, courageux, des actes du gouvernement. De simples formalités sans conséquence apparente, l’usage de promulguer les édits royaux en cour de parlement, et de les faire inscrire sur des registres que la cour avait sous sa garde, ouvrirent à ce corps de judicature la route qui le conduisit à s’immiscer dans les affaires de l’état. Suivant les formes juridiques dont le parlement ne se départait en aucune circonstance, l’enregistrement de chaque loi nouvelle avait lieu par suite d’un arrêt ; or, nul arrêt n’étant rendu sans délibération préalable, de ce fait résulta peu à peu le droit d’examen, de critique, d’amendement, de protestation, et même de véto par le refus d’enregistrer. A l’époque où nous sommes parvenus, cette prétention à une part de la puissance législative ne s’était pas montrée au grand jour, mais elle couvait, pour ainsi dire, sous des apparences de soumission absolue à la volonté royale et de ferme propos de ne point s’aventurer hors du cercle des fonctions judiciaires[2]. Le règne de Louis XII vit commencer le double changement qui fit de la haute cour de justice une sorte de pouvoir médiateur entre le trône et la nation, et des vieux ennemis de toute résistance à l’autorité du prince les avocats de l’opinion publique, des magistrats citoyens usant de leur indépendance personnelle pour la cause de tous, et montrant parfois des vertus et des caractères dignes des beaux temps de l’antiquité.

Louis XII fut un prince d’une heureuse nature, venu dans un de ces momens heureux où le gouvernement est facile. Quinze ans passés depuis la fin du règne de Louis XI avaient suffi pour faire le triage du bien et du mal dans les conséquences de ce règne ; la souffrance nationale s’était guérie d’elle-même, et de toutes parts éclataient des signes de progrès et de prospérité. La culture des campagnes s’améliorait et

  1. Journal des états-généraux tenus à Tours en 1484, p. 697.
  2. « Quant à la cour, elle est instituée par le roy pour administrer justice, et n’ont point ceux de la cour l’administration de guerre, de finances, ni du fait et gouvernement du roy ni des grands princes. Et sont messieurs de la cour du parlement gens clercs et lettrez pour vacquer et entendre au faict de la justice ; et quant il plairoit au roy leur commander plus avant, la cour luy obéiroit, car elle a seulement l’œil et regard au roy, qui en est le chef et sous lequel elle est. Et par ainsi, venir faire ses remonstrances à la cour et autres exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy, ne se doit faire. » (Réponse du premier président La Vacquerie au duc d’Orléans, 17 janvier 1485 ; extrait des registres du parlement cité par Godefroy, Histoire du roi Charles VIII, p. 466.)