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ne pas conserver une vénération reconnaissante pour celui qui rendit possibles et leurs tentatives et leurs succès.

Les œuvres dont nous parlons sont rares et difficiles. Destinées surtout à mettre en lumière, par ces rapprochemens que le génie seul sait découvrir, les résultats généraux d’un grand nombre de faits, elles ne deviennent possibles qu’autant que ces faits mêmes ont été découverts. Dans les siècles passés, alors que le nombre des hommes livrés à l’étude était peu considérable, des générations entières s’usaient à la tâche, et souvent sans doute il s’est trouvé parmi ces manœuvres de l’intelligence des hommes qui, venus à propos, auraient laissé des noms illustres inscrits sur quelqu’un de ces grands ouvrages qui font la richesse des archives de l’humanité. Qu’a-t-il manqué, par exemple, à Pallas pour se placer au premier rang parmi les naturalistes ? Rien peut-être, si ce n’est de naître cinquante ans plus tôt ou plus tard, de ne pas être écrasé entre Limé, qui, résumant tout le passé, venait de poser les fondemens de la science moderne, et Cuvier, qui, fort des progrès rendus possibles par le génie de son prédécesseur, devait la réorganiser quelques années après.

Grace à l’activité fiévreuse qui caractérise notre époque, la science marche vite aujourd’hui ; de toutes parts d’innombrables ouvriers sont à l’œuvre, et apportent chaque jour de nouveaux matériaux à la masse commune. Les époques organiques de la science ne doivent donc pas être séparées l’une de l’autre par d’aussi grands intervalles qu’autrefois ; mais, si les œuvres destinées à coordonner les mille données que fournit le travail quotidien deviennent nécessairement plus fréquentes, elles gardent toutes leurs difficultés, et ces difficultés sont immenses. Résumer le travail de tous, apprécier chaque détail et embrasser l’ensemble ; rapprocher des faits épars, parfois contradictoires en apparence ; reconnaître ainsi les lacunes existantes dans le savoir du moment et les combler par des recherches personnelles ; mettre par là en évidence les rapports cachés qui unissent des résultats jusqu’alors isolés ; s’élever de déductions en déductions jusqu’à des généralités fécondes telle est la tâche qu’ont à remplir les législateurs de la science. Certes, le dernier résultat de cette synthèse n’est jamais définitif. Toujours, excepté dans les mathématiques pures, il reste en dehors des formules générales un certain nombre de résultats qui semblent protester contre la science du moment ; mais ces faits exceptionnels eux-mêmes ont leur utilité, et presque toujours ce sont eux qui, repris et fécondés par les générations suivantes, nous ouvrent de nouvelles voies et préparent la science de l’avenir.

Ce travail d’organisation devient de plus en plus difficile à mesure que le nombre des rapports augmente avec celui des faits. Ne semble-t-il pas dès-lors que vouloir embrasser l’univers dans son ensemble, tenter