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l’île de France, à Ceylan, à la Nouvelle-Hollande, et le globe tout entier se trouva, pour ainsi dire, enserré dans un réseau dont chaque maille avait été tissée par la main de M. de Humboldt.

M. de Humboldt compte aujourd’hui soixante-dix-sept ans, et c’est chose admirable que de retrouver chez cet illustre patriarche de la science la même activité intelligente, le même besoin de s’instruire qu’il montra dès sa jeunesse. Toujours désireux de la vérité, il l’accepte d’où qu’elle lui vienne, et ne craint jamais d’aller au-devant. Bien différent de ces faux grands seigneurs de la science qui se rendent inabordables pour se donner un air occupé, M. de Humboldt est très facilement accessible pour quiconque peut lui montrer le moindre fait intéressant et nouveau. Il ne demande qu’à juger par lui-même, et nous l’avons vu quitter des occupations pressantes, se dérober aux affaires qu’il venait traiter à Paris au nom de son souverain, pour aller dans le cabinet du plus modeste travailleur vérifier des détails d’organisation ou répéter quelque observation, quelque expérience nouvelle.

Citons ici un fait qui peindra mieux que des paroles ce besoin de voir et de comparer qui caractérise si éminemment l’esprit scientifique de M. de Humboldt. Pendant son séjour en Amérique, il avait exploré les gigantesques foyers volcaniques des Andes, il avait assisté à de nombreux tremblemens de terre, et, parmi les savans européens, nul sans doute ne pouvait mieux que lui parler de ces redoutables phénomènes d’après des observations personnelles. Cependant, avant de publier ses recherches sur ce sujet, il voulut visiter les volcans d’Europe. Dans les lacs de la Guyane, il avait étudié le gymnote ou anguille électrique de Surinam : il avait éprouvé sur lui-même quelques-unes de ces violentes décharges dont une seule suffit pour paralyser, pendant plusieurs minutes, l’homme ou même le cheval le plus vigoureux ; mais, avant d’émettre une opinion sur les étranges facultés de ce poisson, il voulut les comparer aux propriétés analogues que présentent quelques habitans de nos mers. En 1805, à peine arrivé en France, il fit le voyage de Naples tout exprès pour aller observer le Vésuve et la torpille.

De l’esquisse biographique que nous venons de tracer ressortira, nous l’espérons, pour tout le monde, le caractère spécial de M. de Humboldt, considéré comme savant. À proprement parler, il ne faut voir en lui ni un physicien ni un chimiste, pas plus qu’un géologue ou un zoologiste. Si pendant des années entières il s’est occupé de chimie, de physique, de sciences naturelles, de positions astronomiques, ce n’était là pour lui que des études préparatoires. Dès sa jeunesse, M. de Humboldt a voulu être voyageur scientifique dans la haute et grande acception du mot ; il a voulu, comme il le dit lui-même, saisir le monde des phénomènes et des forces physiques dans leur connexité. Or, pour atteindre ce but, si élevé qu’il effraiera toujours un esprit ordinaire, pour