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l’approcher seulement en satisfaisant aux exigences de la science moderne, il fallait ce savoir presque universel que possède M. de Humboldt ; car, sans une instruction solide dans les sciences spéciales, toute contemplation en grand de la nature, tout essai d’appréciation générale de ses phénomènes, ne peuvent conduire qu’à des résultats erronés ou chimériques, semblables à ceux que nous a légués le passé.

À ce point de vue, la vie scientifique de M. de Humboldt, si accidentée, si fractionnée au premier coup d’œil, se montre avec un admirable caractère d’unité, et l’on comprend bien mieux aussi toute la valeur intellectuelle de celui qui, pendant soixante ans, rattacha à une même pensée tant de travaux en apparence étrangers les uns aux autres. Le savant sédentaire et le voyageur scientifique ont chacun leur tâche à remplir. Les résultats que l’on demande à des veilles paisibles, passées dans un cabinet au milieu d’occupations régulières, ne peuvent être comparés à ceux qu’il faut conquérir au prix de mille fatigues, de privations de tout genre et de dangers réels. Laissons donc au savant de nos villes ces ouvrages achevés et complets, ces monographies qui acquièrent chaque jour plus de prix. Demandons autre chose au voyageur. Pionnier de la science et lancé, pour ainsi dire, en enfant perdu, il doit défricher le terrain et tracer la route aux hommes spéciaux qui marcheront sur ses traces. Ce qu’il lui faut surtout pour atteindre ce but, c’est la promptitude et la justesse du coup d’œil qui multiplient le temps, la sagacité qui devine un fait par un autre, l’esprit de généralisation qui sait tirer d’un petit nombre d’observations tout un ensemble d’idées. Certes, dominé comme il l’est presque toujours par les circonstances extérieures, il s’égarera quelquefois dans ses conclusions, mais il n’en remarquera que plus aisément les faits exceptionnels, il les signalera à ses successeurs, et ses erreurs mêmes profiteront à la science en appelant l’attention sur des points bien déterminés.

Toutes ces qualités, M. de Humboldt les possède à un degré éminent ; tous ces services, il les a rendus, non pas à une seule science, mais à presque toutes les sciences. De plus, il a payé sa dette à la plupart d’entre elles par des travaux spéciaux d’une importance réelle. Enfin il laisse à la physique générale ses recherches sur la distribution de la chaleur à la surface du globe, à la botanique sa géographie des plantes, c’est-à-dire deux œuvres capitales, qui ont eu une influence incontestable, qui ont ouvert des voies toutes nouvelles, et qui à elles seules auraient suffi pour illustrer le nom de leur auteur. Si depuis l’apparition de ces ouvrages on a dû modifier quelques-unes de leurs conclusions, si l’on a découvert des faits qui échappent aux formules générales, expression de l’état de la science en 1815 ou 1817, n’oublions pas que de nos jours la masse de nos connaissances s’accroît avec une incroyable rapidité, et qu’en définitive, si M. de Humboldt a été quelquefois dépassé, c’est par