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des hommes qui, marchant sur ses traces, n’ont eu qu’à aplanir et à étendre la route que déjà il leur avait faite large et belle.

De ces illustres contemporains que nous avons nommés en commençant, Napoléon a disparu, emporté par les tourmentes politiques ; Cuvier est mort, Chateaubriand se tait. Seul M. de Humboldt élève encore une voix que le monde savant écoute non-seulement avec le respect dû aux services passés, mais avec l’attention que commande l’attente de services nouveaux. Cette haute considération est légitimement acquise, pleinement méritée. Si, dans chacune des sciences dont il s’est occupé, M. de Humboldt compte des supérieurs, si en chimie, en botanique, en géologie, en zoologie, il reste au-dessous des Lavoisier, des Jussieu, des de Buch et des Cuvier, comme voyageur, comme physicien du globe, nul ne peut lui disputer une place à côté de ces rois de l’intelligence.


II.


M. de Humboldt semble avoir voulu expliquer et résumer sa vie entière dans le dernier ouvrage qu’il a publié. L’ensemble des choses, l’ordre dans l’univers, tel est le sens du mot Cosmos, qui sert de titre à ce livre. Peut-être, comme l’auteur le reconnaît lui-même, l’expression est-elle un peu ambitieuse, en ce sens du moins qu’il ne nous est pas encore donné de saisir et de formuler dans leur enchaînement éternel les causes et les effets d’où résulte ce grand tout que nous appelons l’univers. Aussi M. de Humboldt a-t-il grand soin de nous prévenir que ce n’est pas une histoire, mais une description qu’il entreprend, et, même restreinte dans ces limites, la tentative avait de quoi effrayer. « Classer et coordonner les phénomènes, pénétrer le jeu des forces qui les produisent, peindre la magnificence dans l’ordre, donner, par un langage animé, une image vivante de la réalité, réunir l’infinie variété des élémens dont se compose le tableau de la nature, sans nuire à l’impression harmonieuse de calme et d’unité, dernier but de toute œuvre littéraire ou purement artistique, » tel a été le plan de M. de Humboldt, tel est l’esprit général de son ouvrage.

On le voit, Cosmos n’est pas seulement l’œuvre d’un savant, c’est encore l’œuvre d’un écrivain, et ce double caractère, que M. de Humboldt a cherché à lui imprimer, a dû nécessairement exercer une grande influence sur le choix général de la forme. Celle que l’auteur a adoptée lui était déjà familière, et le succès universel que les Tableaux de la nature obtinrent dès leur apparition a dû le séduire autant que la nature même de son talent. Resté profondément artiste au milieu des préoccupations scientifiques d’une longue carrière, M. de Humboldt a vivement senti tout ce qu’il y a de solennelle poésie dans les phénomènes que l’on contemple avec les yeux du corps ou qu’on embrasse