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les poissons, les insectes, déployer dans leur parure ce luxe de couleurs dont n’approchent jamais les gemmes les plus précieuses. À mesure que nous avançons vers les pôles, et surtout vers le pôle nord, des nuances de plus en plus ternes remplacent les teintes vives, les reflets éblouissans. Chez les oiseaux surtout, cette différence est des plus sensibles. En Europe, le grimpereau de murailles, le picvert, le guépier et le martin-pêcheur possèdent seuls un plumage assez remarquable ; et quelle n’est pas leur infériorité lorsqu’on les compare à leurs congénères exotiques ou à ces colibris, à ces oiseaux-mouches, dont les plumes chatoyantes semblent avoir conservé et réfléchir encore les rayons du soleil équatorial !

À en juger par les résultats immédiats de l’observation, l’influence de la chaleur s’étendrait à un genre d’action d’un ordre beaucoup plus élevé. Certaines stations circumpolaires sont aussi peuplées que les stations correspondantes placées sous l’équateur. Les mers boréales, par exemple, ont peut-être autant d’habitans que celles des tropiques ; mais, si l’on vient à examiner ces populations marines, on reconnaît bien vite qu’elles sont très diversement composées. Sous l’équateur, le nombre des espèces est infiniment plus considérable, et cette infériorité est compensée pour les mers du nord par une plus grande multiplication des individus. Bien plus, non-seulement les différences entre les animaux deviennent plus nombreuses, mais encore elles portent sur des détails organiques de plus en plus importans à mesure que l’on avance vers les régions les plus chaudes. Ce ne sont pas seulement les espèces, mais encore les genres, qui se multiplient. M. Milne Edwards est le premier qui, dans ses belles recherches sur la géographie des crustacés, ait signalé ce fait remarquable. Le même naturaliste est arrivé à un autre résultat plus important encore. Il a reconnu que le perfectionnement des organismes paraissait suivre une marche semblable, et être jusqu’à un certain point proportionnel à la quantité de chaleur et de lumière. À mesure qu’on s’éloigne des pôles, qu’on se rapproche de l’équateur, la machine animale semble progressivement se perfectionner, et ce n’est que dans les mers les plus chaudes que se tiennent les crustacés les plus élevés en organisation. Il nous paraît probable que l’étude des autres classes fera reconnaître des faits tout pareils. Dès aujourd’hui nous pouvons dire qu’il en est bien réellement ainsi pour les mammifères, les oiseaux et les reptiles. Les singes, par exemple, que tous les zoologistes s’accordent à placer en tête de la classe des mammifères, et dont les espèces variées peuplent les forêts des tropiques, ne pénètrent jamais très avant dans les zones tempérées. À peine le rocher de Gibraltar nourrit-il quelques magots, dont l’origine est au moins bien douteuse, et ceux des quadrumanes que leur organisation