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le kanguroo et les autres marsupiaux. Dans ces migrations lointaines, l’homme traîne aussi à sa suite des parasites intéressés ou des ennemis redoutables dont il ne peut se débarrasser. Les souris pullulent dans la cale de nos navires. Sur huit espèces de rats que possède le Brésil, cinq sont originaires du pays même ; les trois autres lui ont été apportées par le commerce. Le taret, autrefois inconnu dans nos mers, est devenu le fléau de nos constructions en bois sous-marines, et menace incessamment d’épouvantables inondations la Hollande, dont il ronge les digues. Un autre ennemi, plus formidable peut-être, s’est acclimaté en France. Depuis plusieurs années, le thermite fatal est à Rochefort, et y exerce des ravages d’autant plus à craindre que rien n’indique ses progrès. Puisse la science découvrir bientôt un moyen de mettre nos planchers, nos charpentes, à l’abri de ce redoutable mineur, et préserver ainsi nos villes maritimes, peut-être l’Europe méridionale tout entière, d’un des plus terribles fléaux que nous ayons pu importer des colonies !

Ainsi l’activité humaine exerce souvent une action profondément modificatrice sur la distribution géographique des êtres vivans ; mais, cette action a pourtant des limites, et ici reparaît dans toute sa puissance la domination du monde extérieur. Pour qu’une espèce s’acclimate sur une terre étrangère, il faut que sa nature se prête aux nouvelles conditions d’existence qui résultent de ce changement d’habitation. L’homme lui-même, cet orgueilleux souverain de la terre, ne saurait échapper à l’influence du monde physique, et, si nous voulions rechercher jusqu’où peut atteindre cette domination, nous trouverions, comme l’observe M. de Humboldt, que les mœurs, les habitudes, l’organisation politique, les croyances religieuses, que toutes ces choses qui constituent l’essence des sociétés humaines, n’ont souvent pas d’autre origine première que des accidens de sol ou de climat. L’homme des forêts est presque nécessairement chasseur ; celui des steppes, pasteur ; celui qui habite le bord des fleuves ou les rivages de la mer, pêcheur. Livrés à eux-mêmes, tous trois arriveront sans doute à des notions plus ou moins élevées sur l’existence d’êtres supérieurs qui président à leurs destinées, qui réservent aux bons et aux méchans un avenir de récompenses ou de punitions ; mais chacun d’eux traduira ces croyances générales d’une façon appropriée à son genre de vie, chacun d’eux se prosternera avec crainte ou vénération devant des fétiches divers empruntés aux objets qui l’entourent. Ici nous retrouvons l’ensemble des considérations que nous avons esquissées dans la seconde partie de ce travail ; nous revenons pour ainsi dire à notre point de départ. Admirable enchaînement de causes et d’effets qui, par l’intermédiaire des conditions d’existence, rattache le monde organique dans ses plus hautes comme dans ses plus