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il s’agit du pape, « de notre père l’apostole. » Guyot le traite avec assez de ménagement, quitte à se dédommager sur son entourage. Il en fait une sorte de roi constitutionnel dont les ministres seuls sont responsables :

Tout fut perdu et confondu
Quand les cardinaux sont venus.

Il trace de ces grands dignitaires de l’église un portrait peu flatté ; on en jugera par ces vers qui le terminent :

Sans foi et sans religion :
Car ils vendent Dieu et sa mère,
Et trahissent nous et leur père.

Guyot voit d’assez mauvais œil tout cet or et tout cet argent que, sous mille prétextes, on emporte au-delà des monts. Il trouve, en bon économiste, qu’on ferait beaucoup mieux d’en construire des chaussées, des hôpitaux, des ponts. Son indignation contre Rome ne connaît point de bornes, pas même celles du temps. Dans une érudite colère, il reproche à cette ville le fratricide de Romulus, le parricide de Néron et le meurtre de Jules César.

Le trouvère a commencé ses invectives par les cardinaux et la cour de Rome ; il ne s’arrêtera pas en si beau chemin ; il faut bien que la France ait son tour. Encore ici Guyot s’attaque aux membres les plus haut placés dans la hiérarchie ecclésiastique. Il se plaint de la grande convoitise dont les évêques sont liés. Pour parvenir aux honneurs, d’hypocrites candidats singent d’abord la vertu, et, quand ils ont les grandes richesses, lors ils trompent, jurent et mentent.

Comment parler des vices et ne rien dire des moines ? mais comment parler des moines, quand on porte soi-même le froc ? Or,

Y a plus de douze ans passés,
Qu’en draps noirs fus enveloppé.


Guyot se tire habilement de ce mauvais pas. Ce n’est pas lui qui attaque les religieux. Loin de là, il répond à leurs adversaires : il plaide chaudement leur cause. Seulement, — admirez le bon apôtre ! -il avoue qu’il a bien de la peine à les disculper :

Je ne puis maintenir les moines,
Déconfit en suis en maint lieu.


Ne reconnaissez-vous pas l’excellent ami que dépeint Horace ? Capitolinus est mon ancien camarade, mon ami d’enfance ; mais je ne comprends pas, je l’avoue, qu’il ait pu échapper à la condamnation. Sous cette maligne réserve, ou sent le mécontentement d’une longue vie monastique, la souffrance de l’isolement au milieu d’une fraternité mensongère, et le malaise d’un cœur en qui l’amour s’est corrompu faute d’épanchement :

À ce point m’ont conduit nos frères,
Que je donnerais, par saint-père,
Douze frères pour un ami.