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moins absurdes. Certaines stances d’une grace aimable se laissent bien surprendre dans les premiers romans de sir Edward Lytton, notamment dans Paul Clifford ; mais, en fait de poème de longue haleine, nous ne connaissons guère de lui qu’une assez méchante épître en vers adressée à sa femme, et dans laquelle il s’intitulait l’enfant de génie à la chevelure d’or. Il y a loin de là au New Timon ; en outre, ce dernier ouvrage nous paraît être d’au moins dix ans en avant des idées de sir Edward, et, par le temps où nous vivons, dix ans font époque. Quant à M. Smythe, autant vaudrait nommer l’auteur d’Eothen. Du reste, bien que les rapports qui peuvent exister entre le New Timon et l’auteur des Historie Fancies ne nous aient point frappé, nous soupçonnons cependant l’école à laquelle M. Smythe appartenait, il n’y a pas six mois, d’en savoir plus long que personne sur l’illustre anonyme. D’abord l’ordre d’idées est celui du parti dont M. Disraëli se prétend le chef, ensuite la phraséologie, celle qu’affecte la jeune Angleterre. L’auteur de Coningsby ramène volontiers dans ses écrits une formule qui peut être du saxon très pur, mais qui ne hurle pas moins de se trouver dans la langue anglaise actuelle. Cette locution consiste à employer l’adjectif dans un sens absolu et à le transformer en substantif, ainsi que cela se pratique dans toutes les autres langues. L’Italien dit l’infelice, nous disons le malheureux ; mais jamais, depuis que l’Angleterre existe, on n’a pu dire the unhappy. Cette liberté inouie (et qui, tout préjugé à part, blesse l’oreille), M. Disraëli l’a prise, et the religious, the houseless, the desolate, sont des mots dont s’illustrent à chaque instant ses productions récentes. Nous l’avouons, la constante répétition de cette formule bizarre dans les pages du New Timon nous a frappé tout d’abord ; puis, la complaisance avec laquelle le poète s’attache à parler de l’antique race orientale de son héros nous a paru aussi une circonstance fort suspecte ; mais le portrait de sir Robert Peel n’est-il point là pour dérouter les plus habiles ? Comment, en effet, supposer que l’auteur de Sybil puisse se résigner à n’injurier que si peu le personnage de Downing-Street[1] ?

Plus d’une fois, au milieu de ces pages, il nous a semblé entendre autour de nous le brouhaha de Londres. Par-dessus l’épaule de la pâle et languissante Calantha, assise à la croisée d’une de ces jolies maisons (peut-être celle de l’auteur de Coninsgby) d’où l’on découvre la Serpentine, nous voyons se dérouler le flot fashionable, foule brillante et bariolée, presse tumultueuse, joyeux pêle-mêle, bruyante cohue d’équipages et de piétons, d’amazones et de cavaliers, qui, de cinq heures à sept, tous les jours, pendant la saison, se précipite et se rue entre

  1. The gentleman in Downing-Street, — titre d’un des chapitres de Sybil où M. Disraëli attaque avec le plus de violence sir Robert Peel.