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qui ne tarda pas à se dissoudre. Plusieurs affiliés se retirèrent ; d’autres, sentant redoubler leur zèle, se déclarèrent teetotalers, et fondèrent la nouvelle société de l’Union de la tempérance irlandaise. Les membres les plus actifs furent MM. Haughton, Hallen, Webb, Mac-Clure, et Crokan, presque tous quakers. M. Crokan accepta les fonctions de secrétaire de la nouvelle société, et se mit à parcourir le pays pour tenir des meetings et propager les bons principes.

Jusqu’ici le mouvement de la tempérance avait été un mouvement exclusivement protestant, auquel avaient pris part quelques dissidens, gens honnêtes, toujours disposés à favoriser ce qui tend aux améliorations morales. Rien cependant n’annonçait encore qu’il sortirait des limites d’une secte comme il en existe tant au-delà du détroit, rien ne pouvait faire pressentir les proportions gigantesques qu’il devait plus tard atteindre, lorsqu’il fut fécondé par l’élément catholique. Il faut se rappeler que les catholiques composent les trois quarts de la population. Depuis long-temps, ils sentaient, ils s’avouaient même la nécessité du baptême de la tempérance ; mais ils se tenaient en dehors du mouvement, en raison de cette méfiance instinctive qu’ils montrent toujours pour ce qui leur vient des protestans ; ils attendaient, pour y prendre part, que leur clergé y donnât son adhésion, car, on le sait, les anciennes persécutions ont fait des prêtres les chefs naturels des catholiques irlandais, et l’on n’a d’influence sur le peuple que par eux.

Les teetotalers protestans avaient un club à Cork ; par l’entremise de leur président, le révérend M. Duncombe, ils firent des démarches auprès des catholiques pour les engager à s’adjoindre à eux. Quelques-uns de ces derniers avaient cédé à l’influence persuasive du pasteur, lors que l’alarme se mit parmi les nouveaux initiés, à la lecture de certains pamphlets dans lesquels ils crurent entrevoir des tendances de propagande anti-catholique, mal déguisées sous le manteau des doctrines de la tempérance. Aussi, sans se séparer complètement de la société, exprimèrent-ils le désir de se mettre sous la direction spéciale d’un de leurs prêtres. Ils s’adressèrent successivement à MM. William O’Connor, George Sheenan, et au père Mathew, de l’ordre des capucins. Les deux premiers déclinèrent la proposition ; le père Mathew demanda à réfléchir pendant une semaine ; avant qu’elle fût écoulée ; il s’était déjà déclaré teetotaler. Les quakers ont prétendu que c’est aux sollicitations d’un de leurs coreligionnaires, M. William Martin, qu’est due l’adhésion du père Mathew. Les catholiques se sont recriés contre cette assertion, et, jaloux de se montrer en dehors de toute influence hérétique, ils assurent que le père Mathew n’a fait que céder aux invitations de ses confrères. Je ne me chargerai pas de décider la question. Quoi qu’il en soit, cette adhésion imprima tout à coup à la réforme une activité à laquelle ni le père ni personne au monde n’aurait jamais pu,