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le monopole ? Forcée de produire, la compagnie ne sera-t-elle pas forcée de vendre, et, quand la vente est obligée, le monopole est-il possible ? Toutes les combinaisons que l’on voudra imaginer dans l’intérêt des consommateurs ne vaudront jamais ce moyen simple et énergique, qui va droit au but, et qui arrête le mal dès le principe.

Si la commission n’a eu d’autre but que de prévenir le monopole, elle aurait donc pu se dispenser de modifier la loi de 1810, d’autant plus que son projet, au lieu d’exclure le monopole, lui donne au contraire des ressources et des espérances qu’il n’avait pas. Au lieu d’empêcher le mal, elle l’aggrave. En effet, sous le régime de la loi de 1810, quand une société réunit dans sa main plusieurs concessions, les mines dissidentes peuvent se réunir à leur tour sans l’autorisation de l’état, et former une société de concurrence. Avec le système de la commission, dès qu’une compagnie puissante sera établie sur un bassin, il faudra se laisser ruiner par elle, si l’on n’a pas l’appui du gouvernement. L’état deviendra le maître de répartir à son gré le privilège des exploitations houillères. Son pouvoir n’aura plus de contre-poids. Avec le droit d’autoriser la formation des grandes compagnies, et celui d’empêcher les associations qui leur seraient contraires, il créera le monopole où il voudra. Supposez, avec ce système, une de ces réactions politiques dont l’imagination des partis se préoccupe, peut-être avec quelque raison ; supposez un ministère qui voudrait changer les traditions du gouvernement de 1830, et qui croirait agir dans l’intérêt de sa défense en exagérant le développement de ces grandes influences financières que vous redoutez : quelles ressources lui offrirait un système qui lui donnerait le droit de distribuer et de maintenir dans quelques mains le monopole d’une industrie puissante !

Le projet de la commission va donc directement contre son but. Il veut protéger la liberté industrielle, et il remplace la liberté par l’arbitraire. C’est là, du reste, que viennent échouer presque tous les systèmes qui ont pour objet de réglementer les mouvemens de l’industrie. Dès qu’on veut intervenir dans la libre action des capitaux, on produit des désordres souvent plus grands que ceux que l’on redoute. Ajoutons que les capitaux, par des combinaisons qu’aucune loi ne peut atteindre, finissent toujours par éluder les prétendus obstacles qu’on leur oppose. Quelque mesure que vous preniez pour empêcher la réunion de plusieurs mines dans une seule main, l’esprit de spéculation saura bien la rendre illusoire. Il est évident, en effet, que, si les capitaux ne peuvent s’emparer ostensiblement des exploitations houillères, ils auront toujours la ressource de les accaparer indirectement. Dès qu’on ne pourra plus acheter ou réunir plusieurs mines sans le consentement de l’état, on pourra se passer de ce consentement en prenant un assez grand nombre d’actions dans chacune d’elles pour dominer leur direction. Par là rien ne sera changé à l’état actuel des choses, si ce n’est que le mensonge sera substitué à la vérité.

En résumé, le projet de la commission nous semble une violence inutile. Personne ne peut suspecter les intentions des honorables membres qui composent cette commission. Personne ne peut mettre en doute leur impartialité ni leurs lumières ; on peut croire seulement que les exagérations du dehors ont pu influer sur leur jugement, et que leur bonne foi a été surprise. Nous ne parlerons pas de la proposition de l’honorable M. Delessert, puisque la commission s’est chargée d’en démontrer les ; inconvéniens. La conclusion que nous voulons tirer