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du règne, cela n’est douteux pour personne ; qu’elle soit disposée à défendre ces biens précieux contre toutes les violences et tous les entraînemens, c’est ce qui est incontestable. Si l’on mettait aux voix cette politique, nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître qu’elle obtiendrait une éclatante majorité dans presque tous les corps électifs aussi bien que dans le parlement ; mais le ministère du 29 octobre est-il la seule expression possible de cette politique ? ne pouvait-elle pas être pratiquée sans qu’on y joignît les fautes reprochées à cette administration, et son chef effectif voudrait-il courir le risque de consulter la nation sur sa rentrée dans le concert européen, sur ses actes dans l’Océanie, au Maroc et au Texas ? voudrait-il s’exposer, en un mot, à voir les principales questions de cabinet posées devant la chambre depuis six ans se débattre aussi devant la France ? serait-il rassuré sur les résultats de cette épreuve ?

Une autre discussion délicate et plus grave est venue compléter la discussion que les deux grands antagonistes avaient élevée à une hauteur où M. Billault a su la maintenir dans un des plus beaux discours prononcés par l’habile orateur. Nous n’aimons pas les débats sur les principes organiques et sur ce qu’on peut appeler la métaphysique de la constitution. Profondément dévoués à la monarchie représentative, il nous répugne d’en voir traduire les ressorts les plus secrets devant la curiosité publique. Nous n’hésitons pas à déclarer d’ailleurs qu’à notre avis la personnalité inerte du monarque dans cette forme de gouvernement n’est admissible ni en droit ni en fait. Telle ne saurait être non plus la pensée de M. Thiers, et on ne peut la lui prêter que dans une intention perfide. L’historien de l’empire sait aussi bien que nous par quel mot énergique le premier consul fit justice de cette conception, lorsque Sieyès imagina son grand électeur destiné à résider hors du siège du gouvernement, au palais de Versailles, avec un traitement de six millions. A de telles conditions, il n’est pas un être intelligent et libre qui consentît à s’asseoir sur un trône. Aussi tenons-nous les règles du gouvernement représentatif comme observées toutes les fois que la pensée de la couronne n’apparaît au pays que sous le couvert d’un ministre sérieusement responsable, disposé à subir devant la chambre toutes les conséquences de sa responsabilité. C’est la théorie que nous soutenions énergiquement en défendant le ministère du 15 avril contre des adversaires que M. Guizot doit connaître mieux que personne. Ce n’est pas sans étonnement que nous avons retrouvé dans sa bouche notre thèse de cette époque ; mais, comme elle n’a pu qu’y gagner beaucoup, force est de nous en féliciter. Nous voudrions seulement que, dans son ardeur nouvelle à défendre les droits de la couronne, M. le ministre des affaires étrangères ne compromît pas, en l’exagérant, la thèse que nous soutenions avant lui. Il prétend que l’action personnelle de la royauté peut se manifester pour le bien, et qu’elle ne doit demeurer voilée que pour le mal. Nous maintenons que cette action ne doit se révéler jamais, et qu’en aucune circonstance elle ne peut se passer, vis-à-vis de l’opinion, de l’intervention ministérielle ; nous tenons pour mal fondée et pour dangereuse une distinction qui, sous le prétexte spécieux de glorifier la royauté, l’expose à descendre dans l’arène, et à subir, pour des actes dont l’appréciation est nécessairement mobile, tous les caprices de l’opinion, toutes les variations de l’esprit public. Si nous admettons l’action de la royauté sur ses ministres, c’est sous la double condition