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que cette action sera constamment en accord avec la volonté des deux autres pouvoirs publics régulièrement manifestée, et que la couronne saura se contenter de la réalité de son droit sans prétendre en étaler l’usage. Que les résultats généraux d’un règne soient un jour acceptés et bénis par l’histoire, nous y consentons de grand cœur ; mais que dans les actes journaliers de la vie politique on propose de faire deux parts, pour en attribuer une à la couronne et l’autre aux seuls ministres responsables, c’est ce que nous ne saurions admettre à aucun prix, car une telle théorie n’irait qu’à découvrir le pouvoir héréditaire par l’effet de cette logique irrésistible qui, en France plus encore qu’ailleurs, est le trait dominant du caractère national.

Quels qu’aient été les résultats du vote et le nouveau succès donné au ministère par sa majorité, les vrais amis de la monarchie doivent regretter que des actes qui ont justement blessé les susceptibilités nationales aient pu donner lien à un pareil débat au sein de la chambre, d’où il descendra bientôt au sein du pays lui-même. Nous nous croyions bien loin des luttes de 1839, et pourtant les mêmes questions brûlantes qui ont fait le triomphe de la coalition vont se poser encore devant les collèges électoraux. Cette situation n’a rien dont on doive beaucoup se féliciter.

Après ces grands débats, la chambre a passé aux articles du budget de l’intérieur. La discussion sur les subventions aux théâtres royaux ne sera pas sans résultats, il faut l’espérer. M. Vivien a réfuté avec l’autorité qui lui appartient, avec cet accent de loyauté qui commande toujours l’attention de la chambre, les accusations qu’on accueille trop légèrement contre le Théâtre-Français. La Comédie-Française, a dit l’orateur, n’est plus dans l’heureuse situation où l’avait placée l’empire ; elle n’a plus le privilège d’absorber les artistes éminens qui pourraient la fortifier ; le gouvernement ne peut plus étendre sur cette institution la sollicitude dont il l’entourait autrefois. Tous les genres sont confondus ; on accorde trop de privilèges de théâtres qui rendent la position de la Comédie-Française plus difficile encore. Cet établissement a de plus à sa charge un chapitre énorme de pensions, un loyer considérable, que n’ont pas les autres théâtres royaux. Cependant ces théâtres, surtout l’Opéra et l’Opéra-Comique, sont plus richement dotés ; ils reçoivent à eux deux 860,000 francs sur les fonds votés par les chambres, tandis que le Théâtre-Français ne reçoit que 200,000 francs. Pourquoi cette inégalité dans les faveurs de l’état ? Si les pièces littéraires, si les auteurs éminens deviennent de plus en plus rares, si les grands acteurs tragiques et comiques manquent, c’est une raison pour l’état de prodiguer ses encouragemens à une institution qui est une des gloires du pays ; c’est une raison pour lui de l’aider à vaincre les difficultés présentes, et M. Vivien a rendu un service aux lettres en appelant toute l’attention du gouvernement sur l’état de l’art dramatique en France. Tout en demandant quelques réformes réclamées par l’opinion, M. Vivien pense que l’organisation établie par le décret de 1812 est encore la meilleure que l’on puisse appliquer à notre premier théâtre. « Si le Théâtre-Français, a-t-il ajouté, devient une simple entreprise privée, il n’y aura plus de Théâtre-Français ; vous verrez disparaître toutes les nobles traditions de la scène française. La chambre a donné une complète adhésion à ces paroles, et M. le ministre de l’intérieur, adoptant les vues de M. Vivien, s’est