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et faire des descentes sur les côtes méridionales. Ce peuple né d’hier, et qui déjà touchait au Caucase, aux sources du Nil et aux rives de l’Atlantique, tourna tout d’abord ses armes contre l’Inde. Par la conquête de la Perse, l’islam vit s’ouvrir à l’orient de l’Euphrate un champ aussi vaste que celui qui s’offrit à l’Espagne dans le XVIe siècle, lorsqu’elle posa pour la première fois le pied en Amérique. Comme les Cortès et les Pizarre, de hardis aventuriers partaient du fond de l’Hedjaz pour la conquête du monde, et, au moment de se mettre en route, deux de ces dévots capitaines missionnaires, s’adjugeant par avance les terres inconnues qu’ils allaient découvrir, jouaient, dit-on, sur un coup de dé le sceptre des Thang.

Dans ce premier élan, le nord de l’Inde fut promptement subjugué, mais les guerres civiles et les discordes survenues peu après au sein du kalifat arrêtèrent le torrent et amenèrent la séparation de ces nouvelles possessions, qui se fractionnèrent en petits royaumes indépendans. Plusieurs émirs se créèrent des principautés dans le Mekran, le Beloutchistan, etc. ; mais ces diverses colonies restèrent toujours unies à la métropole par le lien religieux, et servirent d’intermédiaires entre les contrées qui les avoisinaient et l’empire des kalifes. Les besoins du commerce établirent avec ces contrées des rapports fréquens. Au commencement du IXe siècle, s’il faut en croire quelques historiens, des jonques chinoises, pouvant contenir près de cinq cents hommes, apportaient à Syras et à Bassora leurs cargaisons de riz et de tissus de soie ; les musulmans, quoique moins avancés dans la science navale, et n’ayant guère que de grandes barques de bois de cocotier assez peu solides, s’aventuraient en suivant les côtes jusque dans les mers du Japon ; ils avaient des établissemens et des comptoirs dans plusieurs villes maritimes de la Chine, dont la plus florissante était Khamfou ; « moult bon port » où venaient encore, du temps de Marco Polo, « grandissimes navies et grandissimes mercandies, de grande vailance de Inde et d’autre part. » D’un autre côté, des caravanes, franchissant les chaînes de l’Himalaya et les plateaux de l’Asie centrale, pénétraient dans le Tibet et la Tartarie. L’islamisme n’avait encore rien perdu de sa première force d’expansion ; à défaut de conquêtes, il l’appliquait aux découvertes ; l’instinct nomade des enfans du désert les poussait aux aventures et aux courses lointaines. « Je me suis tellement éloigné vers le couchant, s’écrie avec emphase l’historien Massoudi, que j’ai perdu le souvenir du levant, et mes pas se sont portés si loin vers le levant, que j’ai oublié jusqu’au nom du couchant. » Toutes ces excursions ne restèrent pas sans fruit pour la science. Sous l’administration intelligente et libérale des Abbassides, les lumières s’étaient répandues dans toutes les classes ; on voyagea aussi pour apprendre et pour étudier beaucoup de relations et de livres durent être écrits alors, qui, par la suite, se seront perdus au milieu des dévastations des Turcs et des Mongols, ou qui, défigurés par l’imagination romanesque des Orientaux, seront entrés dans le répertoire des conteurs, et servent encore aujourd’hui à défrayer les longues veillées sous la tente. Les aventures de Sindebad le marin, cette fable populaire venue de l’Inde, traduite par les Arabes, transformée en poème par les Persans, ne serait-elle pas une de ces épopées du désert tirées d’un thème historique sur lequel chaque rapsode a laissé l’empreinte de son caprice, chaque copiste la trace de sa fantaisie ?