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l’imâm à venir se mettre à leur tête. Celui-ci résolut de tenter la fortune ; il sortit de la Mecque pendant la nuit, accompagné de soixante-dix cavaliers haschimites de sa famille, et se mit en route à travers le désert ; mais, dans l’intervalle, la révolte des Kufites avait été comprimée, et Omar, lieutenant de Yazid, marchait contre Hucaïn à la tête d’une nombreuse armée. La rencontre eut lieu dans le désert, près d’un lieu nommé Karbala. La petite troupe des Haschimites, enveloppée de toutes parts, sans vivres et sans eau, résista pendant dix jours. Chaque journée était signalée par des combats désespérés dans lesquels les Alides tombaient successivement sans pouvoir s’ouvrir un passage. Enfin ils furent tous taillés en pièces avec leur chef, et leurs têtes coupées furent envoyées à Damas au kalife Yazid (an 61 de l’hégire).

Un seul membre de la famille échappa au désastre. Ce fut Zaïn Ulabidin, fils d’Huçaïn. Ce prince se retira dans l’obscurité de la vie privée. Soit modération, soit lâcheté, il ne voulut jamais venger sa famille et se contenta du titre d’imâm qu’il transmit à sa postérité ; celle-ci s’éteignit après deux siècles dans la personne de Mahdi : avec lui finit l’imâmat. Malgré la déchéance et l’extinction de la maison d’Ali, ses partisans n’en ont pas moins continué à protester contre la souveraineté des kalifes. Pour eux, la succession du prophète réside toujours dans l’imâmat. Le dernier imâm Mahdi n’est pas mort ; il est réservé miraculeusement, à la façon d’Élie, pour reparaître un jour sur la terre et réunir tous les musulmans dans l’unité de la foi.

Telle est l’origine du schisme qui divise les musulmans. Les Persans sont schiites, et, comme tels, en abomination aux Turcs et aux autres sunnites. De la Perse, le culte d’Ali pénétra dans l’Inde avec Mahmoud-le-Gaznévide. Diverses immigrations. antérieures y avaient amené des Arabes sunnites. Néanmoins ceux-ci sont toujours restés en minorité. Les deux sectes réunies présentent à peu près vingt millions de musulmans répartis surtout dans les grandes villes de l’Hindoustan. En temps ordinaire, orthodoxes et dissidens vivent en assez bonne intelligence ; mais les fêtes du Muharrem deviennent chaque année une occasion de discorde et ne se terminent jamais sans quelques coups de bâton échangés entre les deux partis ; elles dégénèrent parfois en rixes sanglantes. En 1827 et 1828, la police anglaise dut intervenir énergiquement pour maintenir l’ordre dans ces solennités tumultueuses.

Dès que la nouvelle lune de Muharrem paraît à l’horizon, un concert de pleurs et de gémissemens s’élève de toutes parts. Des bandes de dévots, vêtus de noir, bannière en tête, parcourent les rues en poussant des hurlemens frénétiques et se rendent à l’imâm-bara. L’imâm-bara est une salle tendue de noir et ornée d’un cénotaphe figurant le tombeau d’Huçaïn. Des prédicateurs montent en chaire et lisent l’histoire du martyre de l’imâm en y ajoutant des prières appropriées à la circonstance, que l’assemblée récite avec eux en se frappant la poitrine. Cette cérémonie se renouvelle chaque soir jusqu’au dixième jour où le deuil est fermé par une procession générale. Le cercueil d’Huçaïn et un mannequin représentant son cheval percé de flèches sont conduits à travers la ville et inhumés en grande pompe. Les veillées de l’imâm-bara ne sont pas, comme on le voit, sans quelque rapport avec les rites de la liturgie chrétienne. Un écrivain hindou, Muhammad-Bakhsch-Haïdari (c’est-à-dire sectateur de Haïdar ou Ail),