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avaient le dangereux honneur d’être ses créanciers et de ceux qui craignaient de le devenir, Ochoa, avec toutes ces qualités d’un chef de partisans, n’était cependant encore que lieutenant. C’était sur cet homme que Tobar avait jeté les yeux pour le seconder. Ce jour-là, le lieutenant Ochoa galopait comme à l’ordinaire à côté du général.

— Est-ce que le temps ne te paraît pas affreusement long au milieu de cette tranquillité de l’état ? lui demanda brusquement Tobar en arrêtant son cheval. En vérité, je m’ennuie de n’avoir rien à faire. Ces chiens d’Indiens Pimas, Zeris ou Tiburons ne donnent plus signe de vie.

— Vous les avez à peu près tous exterminés ; j’en voudrais pouvoir dire autant de mes créanciers, répondit gravement Ochoa.

Le général reprit :

— A cet ennui se joignent chez moi de justes motifs de mécontentement ; n’est-il pas honteux pour le gouvernement central d’avoir prononcé la déchéance de l’excellentissime seigneur Santa-Anna ? Ne suis-je pas moi-même encore simple commandant de place, quand je mérite mieux ? Où est la justice ? Eh bien ! je rétablirai l’ex-président, ou je deviendrai moi-même gouverneur de l’état, et je compte sur toi pour m’aider.

— Quand marchons-nous sur Mexico, demanda Ochoa en riant, pour sommer le congrès souverain de faire de moi un capitaine ?

— Je le dirai, répondit majestueusement Tobar. En attendant, vive Santa-Anna !

— Santa-Anna ou la mort ! s’écria Ochoa, et ils rentrèrent à Guaymas.

Les conjurés furent aussi vite trouvés que la conjuration ourdie ; Ochoa n’eut que l’embarras du choix dans le nombre de ses amis. C’étaient des jeunes gens de familles distinguées, mais de mœurs perdues, la plupart devant, selon l’expression énergique du pays, une ou plusieurs morts[1], et qui avaient eu maille à partir avec les alcades ou les recors. C’était une trop belle occasion de payer leurs dettes sans bourse délier (je parle de leurs dettes pécuniaires), et tous briguèrent l’honneur de s’enrôler sous la bannière de Tobar.

Pendant la nuit qui précéda l’exécution de leur projet, les conjurés, au nombre d’une vingtaine, tinrent conseil. L’assemblée fut orageuse. Quelques-uns émirent d’abord l’idée de brûler la ville et d’égorger les habitans en masse, d’autres se récrièrent contre la barbarie de ce plan ; on se calma, et l’on finit par citer des noms et discuter des exécutions partielles. Chacun crut devoir signaler à l’animadversion publique le créancier dont il avait le plus intérêt à se défaire, ou l’alcade dont il avait le plus à se plaindre. Sur ce chapitre, Ochoa garda le silence ; il ne voulait pas l’extermination de tout Guaymas. Puis on proposa

  1. C’est-à-dire qui avaient commis un ou plusieurs assassinats.