Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— De mes vaches ! .., dit Casiilas alarmé.

— Oui, tu sais ? les dernières, les seules que nous n’eussions pas perdues au Monte. — Eh bien ! je le vois à présent, ce sont les maraudeurs indiens qui les ont volées ?

En soutenant cette assertion avec une rare impudence, le sacristain m’aperçut, me salua, et reprit vivement :

— Quand je dis qu’elles sont perdues, tu vas voir … Dès que je sus qu’elles avaient disparu, je me mis à leur recherche. Les traces étaient faciles à suivre, car il y en avait une qui boitait. Tout à coup les traces disparaissent ; heureusement, à quelque distance de là, ta bonne étoile me les fait retrouver, mais déjà dépecées. C’est ainsi que tu les verras à la maison en cecina[1], comme ce cavalier a pu les voir, dit-il en me désignant.

— Mais les mouches ne les ont pas mangées, j’espère ? s’écria Casillas.

— Oh ! reprit le sacristain d’un air de dignité offensée.

— Parbleu ! dit Casillas d’un air de mauvaise humeur, je craignais qu’il n’en fût de mes vaches comme de cette partie de panocha[2] que tu avais achetée avec mon argent, et que les ravets[3] ont mangée pendant mon absence.

— On n’est pas toujours malheureux, reprit sentencieusement le sacristain un peu déconcerté par les éclats de rire qui partirent dans la salle au souvenir de cette insigne fourberie dont tout Guaymas avait eu connaissance.

— Écoute, continua Casillas : si j’ai pu te devoir quelques services, je me crois parfaitement quitte envers toi, et je te promets que cette fois est la dernière où je serai ta dupe.

Le pauvre Casillas ne pouvait pas prévoir l’avenir.

Après avoir de nouveau, malgré cette déclaration formelle, félicité son ami sur son prompt retour et sur le bonheur qu’il avait eu d’échapper aux indiens, le sacristain, qui sans doute se sentait mal à l’aise dans cette réunion, prétexta quelques affaires, et sortit de la salle.

L’entrée du sacristain et sa conversation avec Casillas avaient fait oublier un instant les graves nouvelles apportées par l’alcade. Quand la porte se fut refermée sur le sacristain, la préoccupation causée par le danger qui menaçait Guaymas et les prononcés amena un profond silence. Ce silence n’était troublé que par les rumeurs du dehors et, les ronflemens du vieux sergent, toujours assoupi sur la coquille de sa rapière.

  1. Viande découpée en lanières et séchée au soleil, ainsi que je l’ai dit en commençant.
  2. Cassonnade en petits pains dont on fait un grand commerce en Sonora.
  3. Espèce d’insectes rongeurs.