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U’Sacame fit deux pas en avant, puis, étendant brusquement le bras vers Casillas, il s’écria d’une voix terrible :

— Ce jeune homme doit mourir !

Il n’avait pas achevé que son poignard plongeait jusqu’au manche dans la gorge du jeune homme, qui tomba en poussant un soupir. Certes, la main de presque tous les spectateurs de cette scène avait été rougie de sang humain, et un assassinat avait été pour beaucoup d’entre eux un événement assez insignifiant ; malgré cela, toutes les physionomies exprimèrent une horreur profonde à l’aspect de ce coup inattendu, et plus d’un sabre fut tiré pour venger cette mort imprévue.

— Arrêtez, messieurs ! s’écria Ochoa en s’interposant entre eux. Puis, s’adressant à U’Sacame, qui, après avoir enfoncé son couteau dans la terre pour l’essuyer, le passait froidement dans sa gaine : — Le chef hiaqui veut-il donc s’arroger droit de vie et de mort sur mes hommes ? s’écria-t-il d’une voix tremblante d’émotion.

— U’Sacame a voulu éviter à son allié l’office de bourreau ; son poignard a tenu la parole du chef blanc, ce poignard a achevé ce qu’avait commencé la flèche de U’Sacame.

Et, à la grande surprise des assistans, il découvrit le cou de Casillas, et leur montra la blessure, objet de la sollicitude du sacristain. Il raconta comment il avait su, par un de ses partisans restés dans la tribu de Banderas, qu’un blanc trahissait la cause de ses frères, et qu’il devait endormir leur vigilance par de faux rapports jusqu’au moment où le chef hiaqui attaquerait Guaymas après avoir forcé le Rancho, surpris à l’improviste. Il dit que ce blanc commandait l’arsenal et devait le livrer aux Indiens. U’Sacame ajouta que, la veille au soir, sachant que Casillas venait d’avoir avec Banderas une dernière et décisive entrevue, il avait voulu donner à ceux dont il venait demander l’alliance un gage de sa loyauté en leur livrant le traître mort ou vivant, mais qu’au moment où ses coureurs avaient réussi à s’emparer de cet homme et le lui amenaient, Casillas avait, par un effort désespéré, échappé au sort qui l’attendait ; qu’alors il lui avait décoché dans sa fuite une flèche qui n’avait fait que le blesser légèrement.

L’Indien attendit ensuite froidement la réponse d’Ochoa.

— Je m’explique maintenant sa conduite singulière d’hier soir, dit le capitaine ; mais quelqu’un de vous, messieurs, peut-il deviner le motif de cette trahison ?

Tout le monde se fut.

— Il aura voulu se faire cacique, dit enfin Guttierrez en riant.

— Que Dieu lui fasse paix ! dit Ochoa en donnant l’ordre de réunir le corps de Casillas aux cadavres entassés dans une maison voisine.

Bientôt cependant le soin de la sûreté personnelle de chacun vint distraire