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d’école, attristé et souriant, prend son violon et accompagne jusqu’au bout le chant railleur qu’on lui jette. Tant de douceur, tant de grace aimable, devaient dompter à la fin les plus rebelles, et le maître d’école y parviendra en effet. Le village sera moralisé par lui ; ceux qui l’injuriaient le plus seront demain ses amis dévoués, et lui-même, après avoir maintes fois juré qu’il abandonnera au plus tôt cette contrée méchante, il s’y attache par tout le bien qu’il y fait. Un pur et gracieux amour intervient aussi pour lui donner des forces ; on est rassuré pour le jeune maître, quand on voit la timide Hedwig prendre parti pour lui en rougissant. La fondation d’une école de chant, d’un cercle de lecture, avec les résistances dont le maître d’école triomphe, sont d’aimables et piquans détails. Enfin son mariage avec Hedwig est célébré comme une fête de famille. Un hiver avait suffi à l’étranger pour calmer les cœurs, pour les purifier et y répandre une meilleure semence. Aussi ; ajoute l’auteur, quand les cloches du village, au jeudi saint, partirent pour Rome, elles purent annoncer que la paix était revenue à Nordstetten, et que l’année avait été bonne.

On a peint souvent le curé de village : M. de Lamartine l’a célébré magnifiquement dans Jocelyn ; mais qui a chanté le maître d’école, qui a raconté son influence pieuse, comme fait ici M. Auerbach ? Le maître d’école de M. Sainte-Beuve, Monsieur Jean, occupe une place à part, avec sa rigueur janséniste, avec la douloureuse destinée que lui a donnée le poète, et ce n’est pas au fils tourmenté de Jean-Jacques Rousseau que je voudrais comparer l’humble organiste de Nordstetten. Le protégé de M. Auerbach (oserai-je le dire ?) me rappelle çà et là le poétique personnage de Lamartine ; je ne voudrais pas assimiler les embarras du maître d’école aux déchirantes douleurs de l’amant de Laurence : non, le maître d’école est beaucoup plus modeste assurément ; toutefois, ce qui lui manque en grandeur, il le regagne souvent par la grace et la finesse. Il y a dans le récit de M. Auerbach un tableau assez semblable par l’inspiration au brillant épisode des Laboureurs, mais d’une exécution bien différente, comme on pense, et approprié au ton général du sujet. Jocelyn, du haut de la montagne, contemple la plaine occupée par les travailleurs, et tandis que le soc fouille la terre, tandis que la semence est déposée dans le sillon, il chante en des hymnes splendides le labeur fécond, et la terre qui boit la sainte sueur humaine. Le maître d’école se promène dans la campagne, sur la lisière de la forêt ; il regarde aussi les bœufs, les charrues, le sillon qui s’allonge ; s’il ne chante pas comme Jocelyn, ce spectacle du travail lui inspire, comme au curé de Valneige, les plus belles méditations sur la vie, sur l’ame, sur la destinée de l’homme. Sa philosophie ne sait pas se déployer en strophes glorieuses ; elle se traduit en des notes fines et sensées. C’est une série de maximes, de réflexions, dont le texte a été fourni par les