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prétentions ni vaine recherche, a un accent de loyauté et de conviction qui fait aimer et estimer tout d’abord l’homme et l’écrivain.

Dans le monument, je serais tenté de dire dans le panthéon qu’il se propose d’élever aux hommes éminens de la renaissance et dont il ne nous découvre encore que le péristyle, viendront se placer à leur rang et à leur date un certain nombre de portraits dont quelques-uns ont été déjà publiés séparément, et qui recevront de la pensée et de l’harmonie de l’ensemble une signification plus complète et plus précise ; mais cette pensée elle-même, quelle est-elle ? Pouvons-nous, dès à présent, la bien saisir et la juger ? Pourquoi, par exemple, Roland, Grégoire VII, saint François d’Assise, saint Thomas d’Aquin, sont-ils les premiers noms que nous rencontrions dans un ouvrage consacré à la renaissance ? La singularité de cette entrée en matière demande examen et discussion.


I.

La civilisation moderne est loin d’offrir à qui l’étudie dans les institutions, les mœurs et les littératures de l’Europe, un tout parfaitement un et homogène. Elle a été, dès sa naissance, c’est-à-dire dès la fin du Ve siècle[1], soumise à deux influences en sens contraire, l’influence du génie romain et l’influence de l’esprit du Nord, deux élémens dont l’opposition, bien qu’adoucie par un lien commun, le christianisme, se fait encore aujourd’hui sentir dans toutes les controverses qui nous agitent. En effet, les flots de ce qu’on appelle la barbarie ont, un jour, rompu leurs digues et se sont précipités dans le lac immense du monde romain, qu’ils ont bouleversé de fond en comble en le renouvelant toutefois, et, suivant une opinion à laquelle j’incline, en élevant notablement son niveau. Devons-nous déplorer ce cataclysme social ? Je ne le pense pas, et pour mon compte je crois fermement que, si la société européenne existe puissante encore et vivace après plus de treize siècles, c’est qu’elle remplit la condition la plus indispensable aux phénomènes de la vie, celle d’être le résultat de deux forces et de deux élémens combinés. Depuis la dissolution de l’empire d’Occident jusqu’au milieu du XVe siècle, c’est-à-dire pendant l’intervalle encore imparfaitement étudié qu’on appelle le moyen-âge, l’influence de la barbarie germaine, augmentée, sous les derniers Carlovingiens, de la barbarie scandinave, a tout dominé. Depuis le milieu du XVe siècle, au contraire, le génie plus clément de la Grèce et de l’Italie a prévalu partout, mais inégalement, et ce sont ces inégalités même qui, plus que le vieux caractère indigène, constituent l’originalité nationale de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Angleterre. Serait-il avantageux de pousser jusqu’à ses derniers termes l’élimination de l’un

  1. À la chute de l’empire d’Occident, l’an 475.