Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Delécluze se soit mis, sans le vouloir, à l’unisson des partisans les plus passionnés de cette époque. Il loue avec eux, mais autrement qu’eux, les Hildebrand, les Anselme, les Albert-le-Grand, les saint Thomas, les saint Bonaventure, qu’il salue comme les promoteurs éclairés de la renaissance, tandis qu’avec plus de raison, je pense, les enthousiastes des XIe, XIIe et XIIIe siècles proclament ces mêmes docteurs les flambeaux du catholicisme pur, et vénèrent en eux la plus haute et la plus complète expression de la théocratie du moyen-âge, cette époque de mysticité et d’ascétisme que la véritable renaissance, celle du XIVe siècle, a seule définitivement brisée, en remettant en honneur, dans toutes les contrées de l’Europe, les idées, les arts, la poésie de l’antiquité, et, il faut bien le dire aussi, quelque chose de la licence et de la sensualité païennes.


II.

Peut-être ne comprenez-vous pas bien encore pourquoi, au-devant d’un ouvrage destiné à la glorification de la renaissance, M. Delécluze a placé deux volumes intitulés Roland et la Chevalerie ? Je vais vous l’expliquer. Dans le cours de ses travaux, dont je viens d’indiquer l’esprit et la pente, M. Delécluze n’a pas tardé à se convaincre que les seuls obstacles vraiment sérieux qu’ait rencontrés la reprise complète des idées et des traditions antiques ont été les deux grandes créations qui constituent l’originalité du moyen-âge, à savoir la chevalerie dans l’ordre politique et moral, et le goût improprement nommé gothique dans la sphère de l’imagination et des beaux-arts. M. Delécluze a trouvé, dans ces deux émanations de l’enthousiasme du Nord uni au spiritualisme chrétien, une objection puissante à sa théorie de l’absolue perfection des choses de l’antiquité. Que faire donc ? Il a commencé, dans plusieurs publications incidentes, à escarmoucher avec vigueur contre ces deux formidables adversaires ; mais doué, comme il l’est, à la fois de jugement et de bonne foi, il a bien vite reconnu l’impossibilité de ruiner par des attaques indirectes deux faits aussi considérables, et dont les racines, de son aveu même, sont profondément implantées dans nos institutions et dans nos mœurs. Aussi, déterminé à ne laisser derrière lui aucune objection menaçante, il s’est retourné résolument contre l’ennemi et s’est décidé à prendre la chevalerie corps à corps ; il lui conteste nettement ses droits à l’engouement public ; il lui demande qui elle est, d’où elle vient, ce qu’elle a produit et ce qu’elle nous a légué d’utile. Telle est l’enquête en forme à laquelle il procède avec rigueur et gravité dans les deux volumes pleins d’intérêt que nous allons analyser et discuter.

Et d’abord je m’empresse de reconnaître qu’il n’est pas possible d’apporter