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presque toute l’étendue des provinces d’Alger et d’Oran, pour tâche une pression ou une action à exercer sur presque tous les points de cette surface.

Encore deux semaines, et il se sera écoulé cinq mois depuis le moment où M. le gouverneur est entré en campagne, et, pendant tout ce laps de temps, on n’a rien fait autre que de contenir ou punir quelques populations, et plus tard d’observer et de suivre les mouvemens d’Abd-el-Kader. À chaque pas que l’on faisait, on rencontrait une nouvelle trace de défection, une nouvelle occasion de sévir, et les nécessités de ce genre, se rattachant les unes aux autres, ont formé une chaîne continue qui a traîné nos troupes haletantes dans toutes les vallées, sur les pentes de toutes les montagnes, à travers les accidens de toutes les saisons. Lorsque, dans l’espace compris entre le Chélif, la Mina et la limite méridionale du Tel, les tribus, foulées et refoulées sous les pas de nos soldats, commençaient à s’affaisser, Abd-el-Kader, dont cet accablement servait mal les intérêts, parut tout à coup, marchant sur notre trace, pour arracher les élémens de pacification à mesure que nous les semions. Il ne voulait pas que l’apaisement de la contrée orientale rendît à nos colonnes la liberté de se reporter et de se concentrer dans les provinces de l’ouest ; sachant l’inquiétude que lui-même et les Français inspiraient à Abderhaman, il craignait que celui-ci, menacé d’une invasion, ne menaçât à son tour les rassemblemens et dépôts formés sur le territoire marocain, et qui servaient de base aux Arabes hostiles à la France.

Au sud du grand massif de pays montagneux qui, vers le nord, s’avance, pareil à un bastion immense, dans l’angle formé par le Chélif et la Mina, et que domine comme une citadelle le roc culminant de l’Ouarenséris, s’étend, entre les sources de la Mina et les contre-forts sud du Djébel-Dira, une haute plaine qu’on nomme Sersou. Elle est bornée au sud par une chaîne de montagnes peu élevées courant de l’est à l’ouest, et qui la sépare de la région des sables. C’est un terrain intermédiaire jeté entre les terres productives et les terres absolument stériles, comme il existe sur beaucoup de rivages des marais salés qu’une barre isole de la mer. Quelques rares et faibles ruisseaux, dont un devient plus tard le grand Chélif, divisent cette étendue en plusieurs plateaux dont les bords sont profondément découpés par tous les méandres de ces cours d’eau, qui se plient et se replient cent fois sur eux-mêmes comme des serpens blessés. Cette contrée, cultivable seulement par zones étroites, est parcourue par les Ahrars, grande tribu de pasteurs qui possèdent d’immenses troupeaux, se livrent à la fabrication des étoffes de laine, s’approvisionnent en grains chez les tribus du Tel, craignent la guerre, et ne demandent jamais à la force, qu’ils pourraient trouver dans leur nombre et leur richesse, ce qu’ils peuvent