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aller à ce malencontreux rapprochement où se trouvait associé ce qui regardait un misérable assassin avec le souvenir de l’illustre maréchal Ney ? En accueillant avec une attention religieuse la protestation de l’héritier du maréchal, la chambre des pairs a fait à cette grande mémoire comme une réparation qui doit pour toujours mettre un terme à d’affligeantes controverses. Les vicissitudes d’un demi-siècle de révolution ont mis en présence au Luxembourg les représentans de divers gouvernemens, de divers partis : là les fils doivent oublier les inimitiés des pères ; là tous les souvenirs, toutes les traditions dont se compose l’histoire du pays, se doivent un mutuel respect.

Un nouveau pontife a pris possession de la chaire de Saint-Pierre ; il semble que les circonstances politiques et religieuses aient aujourd’hui rendu à cet événement l’importance européenne qu’il avait autrefois. Le conclave a fait preuve d’une véritable sagesse, soit dans la rapidité de l’élection, soit dans le choix de l’élu : le cardinal Mastaï, aujourd’hui Pie IX, réunit, à ce qu’on nous assure, toutes les conditions essentielles qu’il faut pour gouverner une situation difficile. Les Romains disent qu’il y a trois catégories parmi les cardinaux : les pii, les dotti et les politici. Le pape défunt appartenait incontestablement à la première et ne manquait pas de titres pour entrer dans la seconde ; il a trop souvent prouvé qu’il n’était pas du tout de la troisième ; il fallait donc un politique. Le conclave s’est ouvert sous le coup de l’allocution adressée par le cardinal Micara au cardinal Lambruschini ; les sévères paroles du vieux prélat malade et presque mourant ont été d’un grand effet ; il est impossible que l’administration nouvelle recommence maintenant l’ancienne. On a pu voir dans quel état celle-ci avait mis les Légations ; l’effervescence mal contenue de ces provinces est peut-être le principal motif qui ait précipité les opérations du sacré collége, et nul autre assurément n’a plus contribué à l’exaltation du cardinal Mastaï. Né à Sinigaglia, successivement archevêque de Spolete et évêque d’Imola, Pie IX connaît bien le pays, et l’on a toute raison de croire qu’il a été nommé pour répondre aux besoins de l’intérieur plutôt que pour satisfaire aux exigences du dehors. Le dernier règne avait été dominé par deux influences, celle des jésuites, qui confessaient Grégoire XVI, celle de l’Autriche, à laquelle le ministre Lambruschini était notoirement dévoué ; ces deux influences s’accordaient à merveille pour tenir les Légations sous un joug impitoyable et leur refuser jusqu’aux moindres bienfaits des institutions modernes ; l’une et l’autre ont été si exclusives, qu’elles ne sauraient se prolonger tout entières une fois le règne fini. Membre du clergé séculier, qui, pas plus en Italie qu’ailleurs, n’accepte volontiers la suprématie des ordres religieux, Pie IX aura moins de déférence pour les réguliers que le pieux camaldule auquel il succède ; les réguliers eux-mêmes, franciscains, dominicains, théatins, verraient sans grand déplaisir l’abaissement d’une société qui depuis quatorze ans a pris toute l’autorité pour elle ; si les rivalités d’ordre subsistent encore aujourd’hui quelque part, c’est naturellement à Rome ; les jésuites ont eu le temps d’y faire bien des envieux. Ajoutons aussi qu’ils ont étouffé dans tous les rangs de l’église des hommes distingués dont il est permis d’attendre beaucoup sous un autre régime ; c’est toujours chose délicate que de citer des noms, et cependant, pour peu que le gouvernement pontifical veuille entreprendre de sages réformes, on ne peut s’empêcher d’espérer que des personnes comme monsignor Marini, gouverneur actuel de Rome, ou comme le père Ventura,