Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencé le jour où un être humain a souffert, c’est-à-dire le jour où il a réfléchi.

À cette grande psychologie qui n’est pas seulement l’œuvre des philosophes, mais pour ainsi dire celle du genre humain, sait-on ce que l’école positive nous propose de substituer ? Je suis honteux de le dire, et ceux qui connaissent MM. Comte et Littré pour des esprits exacts ne le devineraient jamais : c’est la science la plus conjecturale, la plus nouvelle, la moins positive, mais pourquoi parler de science ? non ; c’est ce quelque chose d’équivoque et de mal venu qu’on appelle la phrénologie. Ainsi tous les philosophes, depuis Platon jusqu’à Reid, en croyant observer l’esprit humain, n’ont saisi qu’une chimère ! L’homme à qui il a été donné de commencer la science de l’homme, c’est le docteur Gall ! Les vingt-sept facultés reconnues par ce grand philosophe et rapidement portées à trente-cinq par cet autre profond penseur, le docteur Spurzheim, avec les vingt-sept ou trente-cinq circonvolutions cérébrales correspondantes que le docteur Vimont n’a pas manqué de retrouver sur le crâne d’une oie, voilà pour la philosophie positive le beau idéal de la science de l’homme[1] ! On reconnaît, il est vrai, que ces premiers travaux de physiologie cérébrale sont très imparfaits. On n’admet pas la théosophie, ce qui est caractéristique ; on veut bien nous Faire grace de l’amativité, de l’habitativité, de la destructivité, de la constructivité, de la secrétivité : j’en remercie la philosophie positive au nom de la langue française ; mais, sans vouloir triompher à l’excès de ces ridicules ébauches, j’ai le droit de dire qu’il y a quelque chose de significatif dans cette réhabilitation de la phrénologie par la philosophie positive, et qu’une école obligée de prendre sous sa protection des tentatives aussi monstrueuses met en garde tous les bons esprits et prononce elle-même sa condamnation.


IV.

Si la philosophie positive n’avait d’autre défaut que d’altérer ou de supprimer une classe considérable de faits, on pourrait bien l’accuser d’être incomplète, on ne pourrait pas la déclarer radicalement fausse. Il faudrait élargir la base de l’édifice, non le renverser de fond en comble. Mais la philosophie positive vise plus haut que le spiritualisme ; la négation des faits de conscience n’est qu’un moyen pour elle d’atteindre les idées absolues, et la ruine de la psychologie est un prélude à la destruction de la métaphysique.

  1. Voyez l’excellent petit livre de M. Flourens : Examen de la Phrénologie, et son grand ouvrage intitulé Recherches expérimentales sur les propriétés et tes fonctions du système nerveux, 2e édit. 1842.