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rapporter à Dieu tout ce qu’il y a de beau et de bon dans l’ordre des êtres, Platon affirme avec une juste et noble fermeté ; mais s’agit-il d’expliquer le rapport de Dieu au monde, de dévoiler les premières origines des existences, Platon est si peu tranchant, qu’il se réduit à des conjectures. Écoutons encore Timée : « Tu ne seras pas étonné, Socrate, si, après que tant d’autres ont parlé sur le même sujet, j’essaie de parler des dieux et de la formation du monde, sans pouvoir vous rendre mes pensées dans un langage parfaitement exact et sans aucune contradiction. Et si mes paroles n’ont pas plus d’invraisemblance que celles des autres, il faut s’en contenter et bien se rappeler que moi qui parle, et vous qui jugez, nous sommes tous des hommes, et qu’il n’est permis d’exiger sur un pareil sujet que des récits vraisemblables[1].

Je pourrais multiplier les citations et les preuves ; mais il est évident pour qui jette un coup d’œil impartial sur l’histoire de la métaphysique et sait discerner la grande route qu’ont suivie les maîtres de la science des sentiers particuliers où se sont égarés un petit nombre d’esprits téméraires, il est évident, dis-je, que la métaphysique n’aspire point nécessairement à habiter une région inaccessible, séparée de celle où se développent les autres sciences. Sans doute elle domine les sciences particulières, mais parce qu’elle s’appuie sur elles ; sans doute elle conduit plus haut que la nature et plus haut que l’humanité, mais c’est dans la nature et dans la conscience humaine qu’elle saisit les caractères dont elle écrit et compose la science de Dieu. Les sciences physiques et morales ne font pas une acquisition dont elle ne profite ; éclairée par leurs travaux, elle leur envoie ses lumières ; c’est un échange perpétuel qui fait à la fois la vie des sciences et la sienne. On peut appliquer à la philosophie le mot ingénieux et vrai de Bacon : elle ne commande qu’à condition d’avoir obéi. Imperare parendo, voilà sa devise.

On doit comprendre maintenant ce qu’il y a de particulier dans le mouvement de la métaphysique. Elle ne peut se développer comme la géométrie ou la mécanique, sciences homogènes fondées sur un petit nombre de notions, envisageant des rapports très simples et d’une même espèce, se formant et s’accroissant par un procédé uniforme. La métaphysique, vaste comme l’esprit humain, est comme lui merveilleusement compliquée ; aucune méthode ne doit lui être étrangère l’abstraction et l’observation, l’induction et le calcul même, l’analogie, l’analyse, tous les procédés, tous les moyens de connaître sont également de soit ressort, parce qu’elle embrasse tous les faits, tous les êtres, toutes les lois, toute la vie, se proposant tour à tour la matière et l’esprit, la nature et l’homme, le fini et l’infini, s’élevant du monde à Dieu et redescendant de Dieu au monde, unissant tout, conciliant tout,

  1. Platon, trad. de M. Cousin, t. XII, p. 118.