Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chanteurs, le reste en un cercle d’intimes, et, certain d’avoir fait de son mieux, convaincu de la bonne volonté de sa troupe, il attendait fièrement, avec confiance, s’en remettant d’ailleurs à la grace de Dieu.

Tel était le motif de toutes les conversations ouvertes au café Stehley dans la matinée du 19 juin 1821, jour de la première représentation du Freyschütz.

— Je vous le demande, mon cher maestro, s’écriait un jeune homme à tournure militaire, je vous le demande, cela ne dépasse-t-il pas toute imagination de voir ce M. Weber, à qui on aurait tout au plus dû livrer un des petits spectacles du faubourg, oser venir s’emparer de la sorte du théâtre royal de l’Opéra de Berlin, et nous apporter ses oripeaux romantiques ramassés au hasard dans toutes les friperies musicales ? Nous les apporter pour remplacer quoi ? le chef-d’œuvre de la musique, Olympie. Olympie de notre incomparable Spontini ! En vérité, c’est de la démence, et le pauvre diable me fait pitié ; qu’en dites-vous, monsieur le maestro, n’ai je pas raison de le prendre en pitié ?

— Tout-à-fait raison, répondit avec chaleur un petit homme à besicles vertes, dont l’accent fortement prononcé trahissait l’origine italienne ; cependant, ajouta-t-il aussitôt, peut-être en pareille matière mon opinion n’est-elle point assez désintéressée pour qu’on en tienne compte, car je n’admire au monde que la musique de mon pays, et fais profession d’un enthousiasme sans bornes pour le grand maestro Spontini, que je place au-dessus de tous.

— À Dieu ne plaise que je vous conteste jamais cette opinion ! ajouta le jeune homme. Spontini passera toujours pour le plus grand compositeur dramatique dont la musique s’honore, et je ne vois pas qui l’on pourrait lui comparer en Allemagne. Auprès de lui Gluck est un bloc de marbre inanimé et froid, Mozart un musicien aimable et tendre, mais sans génie ; et puis comment appeler Mozart un compositeur dramatique ? Son Don Juan, dont tant de braves gens raffolent sans savoir pourquoi, manque complètement de caractère, et, si vous en exceptez quelques rares morceaux, n’offre à notre génération que des vieilleries qui font sourire. Je le répète, est-ce Gluck ou Mozart que vous comparez à mon héros ? Sans lui, saurait-on seulement ce que c’est qu’un opéra ? Nul autre que Spontini n’a compris la forme dramatique : je dirai plus, il l’a inventée. Parlez, monsieur, me soutiendrez-vous le contraire ?

— Non pas certes, répondit vivement le maestro. Puis, se ravisant soudain, et du ton d’un homme qui craint de se compromettre : N’allez pas croire cependant que je sois l’ennemi de M. de Weber ; j’ai la plus grande estime pour son talent, ce qui ne m’empêche point toutefois de penser qu’il lui sera bien difficile de faire sensation après M. Spontini.

— Vous croyez ! observa un jeune homme assis à la table voisine, et qui jusque-là était resté étranger à la conversation, et pourquoi, s’il vous