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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/257

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poétique national va développer chez lui le sens de l’histoire. Je n’hésite pas à le dire, cette tendance toute moderne en musique de remonter le cours des siècles et de faire revivre dans leur caractère d’individualité propre des passions d’un autre temps, cette tendance nous vient de Weber, lequel à son tour la prit autour de lui pour la transporter de la scène dans son art. Imagination libérale et puissante, esprit informé, critique, l’auteur du Freyschütz et d’Euryanthe sut étendre ses conquêtes en dehors des limites de sa profession respective. Dans cette ame sonore et sympathique, centre glorieux de résonnances, toutes les préoccupations intellectuelles de l’époque eurent un écho, et, s’il fut contemporain de Mozart et de Beethoven, il ne le fut pas moins d’Arnim et de Niebuhr, d’Hoffmann, de Raumer, d’Augustin Thierry et de Michelet. En tant qu’expression de la vie chevaleresque, d’une vie où les idées d’amour, d’honneur, de foi dans les sermens, règnent en souveraines et gouvernent tout, Euryanthe peut à bon droit s’appeler un opéra historique. Je doute que le drame lyrique ait jamais parlé un plus noble, un plus vaillant langage ; c’est le véritable roman de chevalerie en musique. On connaît ce grand soin que Weber apporte dans l’étude de ses caractères, qu’il approfondit et parfait pour ainsi dire au moyen de l’orchestre et de toutes les ressources combinées de son art. Eh bien ! dans aucun autre de ses chefs-d’œuvre, cette préoccupation du maître n’eut occasion de s’exercer avec tant de suite et de bonheur. Euryanthe est le seul des opéras de Weber où le dialogue parlé n’intervienne pas, et l’on conçoit quels avantages pour le style soutenu comme pour l’individualité de ses personnages devait tirer de l’emploi du récitatif un esprit si observateur, si curieux de détails, et possédant aussi bien à fond le sens intime de l’histoire. Quel suave et charmant tableau de l’amour chevaleresque, de la loyauté, de la foi dans les rapports, que ces caractères d’Adolar et de sa pudique maîtresse ! L’amant d’Euryanthe adore en elle le type gracieux des vertus et des perfections en honneur dans les romans de la Table-Ronde, et rapporte discrètement à cet objet d’une passion à la fois mystique et sensuelle tout le mérite, tout l’honneur de ses propres actes. Il se peut que je me trompe et que mon illusion me montre au fond de cette musique des idées auxquelles le maître n’a point songé, tel n’en est pas moins le sens que garderont toujours pour moi la romance si mélodieusement naïve d’Adolar, son air, sa partie dans ce trio du premier acte d’une si fière touche, en un mot les divers passages caractéristiques où cette physionomie se dessine. Là cependant s’arrêtent les concessions faites au sujet, lequel se passe, comme on sait, sur les bords de la Loire, au pays d’un romantisme plus tendre et plus ouvert. Génie énergique et sombre de nature, Weber chercherait en vain à répudier ces élémens de nationalité qui constituent sa force principale, et c’est par