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laquelle la violence puisse quelque chose, puisque c’est une maladie de l’esprit, et qu’on ne peut la guérir que par des remèdes appliqués peu à peu. »


À un tel langage, on a peine à reconnaître, je ne dirai pas le duc d’Albe, mais un Espagnol du XVIe siècle. La plume de Tacite n’eût pas tracé, de la situation des Pays-Bas, un tableau aussi effroyablement énergique que celui qui ressort de ce petit nombre de phrases incorrectes jetées négligemment dans un rapport confidentiel. Le duc d’Albe s’effrayant lui-même de la terreur, de la désolation qu’il vient de répandre autour de lui, s’en effrayant au point d’invoquer la clémence, la douceur, presque la liberté de conscience, un tel changement produit en moins de trois mois dans cette ame de fer par l’évidence des résultats qu’il avait sous les yeux, quelle éloquence pourrait égaler la force de cette démonstration ? quelle leçon pour les hommes d’état qui peuvent se trouver exposés à la tentation si commune de chercher dans la violence un remède contre les révolutions sociales ou politiques !

Il n’était plus temps pour le duc d’Albe de revenir utilement à une plus saine politique. Ses tentatives, peu habiles d’ailleurs, pour calmer les peuples, pour les rattacher au gouvernement, échouèrent d’une manière absolue. L’espèce d’amnistie qu’on lui permit de publier, non sans d’innombrables restrictions, ne produisit pas l’effet qu’il en avait attendu. Bientôt une nouvelle invasion faite par le prince d’Orange, avec plus de succès que la première, devint pour tout le pays le signal de l’insurrection. La révolte éclata sur presque tous les points à la fois. Le duc d’Albe, ainsi provoqué, reprit toute sa férocité naturelle. Les exécutions en masse, les massacres, les cruautés de toute sorte qu’il ordonna ou qu’il permit avec complaisance, en réduisant les populations au désespoir, étendirent de plus en plus l’incendie, et, lorsqu’on se décida enfin à le rappeler, il était depuis long-temps reconnu que le lieutenant de Philippe II ne réussirait pas dans l’œuvre difficile confiée à son énergie.

Je viens d’esquisser en traits généraux l’histoire de l’administration du duc d’Albe. Ces détails étaient nécessaires pour rendre parfaitement intelligible la triste aventure que je me propose de raconter.

Florent de Montmorency, baron de Montigny, frère cadet du comte de Horn, cette autre victime de la tyrannie espagnole, était issu d’une branche de la maison de Montmorency, qui, dans le siècle précédent, avait quitté la France pour se fixer en Flandre, où elle avait obtenu de grands établissemens. Sans avoir toute l’importance de son frère, sans faire, comme lui, partie du conseil d’état, où se réglaient les intérêts politiques des Pays-Bas, il occupait un des premiers rangs parmi les grands seigneurs de cette contrée. Il avait le gouvernement du Tournésis, et Philippe II lui avait conféré la Toison-d’Or. Sa conduite avait