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requête présentée à la gouvernante, et aussi à raison des mauvais offices qu’il avait rendus à Tournay, où cette princesse l’avait envoyé pour réprimer les désordres et les excès des sectaires contre la religion catholique. Montigny était, en conséquence, condamné à avoir la tête tranchée par le glaive pour être exposée dans un lieu public, et tous ses biens étaient confisqués au profit du roi.

Une circonstance bien étrange, c’est le mystère dont le duc d’Albe réussit à entourer cet arrêt. Il trouva moyen de le cacher même à ses assesseurs. Voici comment il s’y prit : il leur demanda leur opinion écrite et signée sur la culpabilité de Montigny, sans les avertir qu’il s’agissait de prononcer le jugement. La majorité ayant conclu à la peine capitale, il fit dresser l’arrêt en conséquence, et en fit donner lecture par son secrétaire dans une réunion à laquelle il avait convoqué seulement deux des juges à qui il accordait une confiance absolue. Il l’envoya ensuite au roi, aussi bien que la sentence rendue contre le marquis de Berghes, avec une dépêche dans laquelle il expliquait complaisamment le procédé artificieux qu’il avait cru devoir employer.


« Je n’ai pas voulu (y disait-il) que la condamnation de Montigny fût connue d’aucune autre personne jusqu’à ce que je fusse informé des intentions de votre majesté. Si elles sont de la faire exécuter, je joins ici l’original avec une commission rogatoire pour la faire notifier au condamné. Comme votre majesté voudra sans doute que l’exécution ait lieu en Espagne, attendu qu’ici la chose serait difficile, elle fera remettre sa cédule royale à qui il lui conviendra, pour que celui qu’elle en chargera prenne connaissance de la commission rogatoire et y donne suite. »


Cette lettre porte la date du 18 mars. Lorsqu’elle parvint à Philippe II, il voyageait en Andalousie. Il n’y répondit que le 30 juin, après son retour en Castille. Sa réponse est ainsi conçue :


« J’approuve la précaution que vous avez prise pour que l’affaire restât secrète jusqu’à ce que j’eusse pu vous faire connaître ma volonté. En effet, quoique les crimes de l’accusé soient si bien établis, que, sous le point de vue de la justice, il n’y eût pas à hésiter à ordonner l’exécution de la sentence aussitôt après la réception de votre lettre et de la commission rogatoire, les embarras du voyage et quelques considérations qui se sont présentées à mon esprit m’ont engagé à différer cette exécution jusqu’à mon arrivée en ce lieu, et aujourd’hui encore je n’ai pas pris de détermination sur l’époque et sur la manière. Il importe donc de ne rien publier dans le pays où vous êtes jusqu’à ce que je vous en donne avis ;… mais, quant à l’affaire de Berghes, il n’y a aucune raison d’en retarder la conclusion,… et vous aurez soin de me donner la liste des biens à lui appartenant qui vont se trouver appliqués à mon domaine. »


Avant d’aller plus loin dans le dépouillement de cette étrange correspondance, je dois faire remarquer que les dépêches de Philippe II ne sont pas seulement l’expression de sa pensée générale interprétée,