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des contrebandiers accoutumés à naviguer parmi les récifs peuvent introduire en fraude par ces falaises.

Cette contrebande se continue malgré les ordonnances rigoureuses du congrès, ordonnances toujours éludées sur ces rivages lointains. La seule réforme obtenue dans l’intérêt du trésor, c’est que la contrebande clandestine a remplacé celle qui se faisait en plein jour, sur une plus grande échelle, par ceux-là même qui avaient mission de l’empêcher. Il fut un temps, — et les Français qui ont visité le Mexique il y a quelques années ne l’ont pas oublié, — où l’administrateur de la douane d’un état maritime adressait au ministre des finances à Mexico des rapports invariablement conçus en ces termes : « Aujourd’hui est entré un navire provenant de Bordeaux, entièrement chargé de foin ; ledit chargement n’a pas payé de droits par ce motif qu’il est destiné à la nourriture des mules dont il vient faire l’exportation. Les passagers du bord ont déclaré n’être venus sur nos côtes que par le besoin de changer d’air. » Est-il nécessaire de dire que ces passagers convalescens accompagnaient une riche cargaison qui ne versait jamais aucun tribut dans les coffres du fisc ? Seulement les droits d’ancrage et autres menues redevances étaient loyalement acquittés. Le trésorier-général pouvait à juste titre s’étonner de la réputation de salubrité qui attirait tant de voyageurs dans l’état ; mais ce qui ne devait pas moins le surprendre, c’est l’absence de tout droit payé à l’exportation de ces mules pour la nourriture desquelles on avait la précaution de se munir d’un chargement de foin européen. La cherté des mules ou d’autres obstacles toujours imprévus faisaient constamment manquer les marchés, au grand détriment des revenus de la république, mais non de la fortune privée de l’administrateur, que ces chargemens singuliers enrichissaient rapidement. De tout temps au Mexique, sur l’un et l’autre océan, la contrebande a détourné à son profit le plus important et presque le seul revenu du trésor. Cette coupable industrie n’est pas là, comme en Europe, le monopole de quelques aventuriers audacieux. Selon que les finances sont plus ou moins appauvries, tout employé public est plus ou moins préoccupé du soin de s’indemniser aux dépens de l’état qui ne le paie pas. Les troupes réclament leur solde à grands cris, les employés civils fraternisent avec les soldats. L’état, comme on le pense bien, reste sourd, et chacun cherche alors où il peut le trouver un supplément de ressources. L’administrateur des douanes donne pleins pouvoirs aux visiteurs (vistas), les visiteurs aux douaniers, les douaniers aux portefaix de l’administration, qui se font aider de tous ceux qui savent remuer un fardeau, manier une barque ou donner au besoin un coup de couteau. Puis, selon l’humeur du président de la république, suivant la rigueur des lois promulguées, la contrebande se fait en plein jour ou à la faveur de la nuit, dans les ports ou sur des côtes isolées, mais, de près ou de loin,