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chacun y prête la main. On conçoit donc que, dans la morte-saison de la pêche des perles ou de l’écaille, les plongeurs et les harponneurs qui se livrent à cette pèche sont pour les contrebandiers de précieux auxiliaires. Par une conséquence immédiate de la pénurie du trésor, tandis que les employés civils font la contrebande, on voit des soldats, des officiers même, s’associer aux voleurs de grands chemins. Pour ces routiers (salteador de camino), le brigandage n’est pas non plus une profession. Ce sont des pères de famille, souvent protégés par l’alcade de leur village et bénis par leur curé, qui dédaignent de se mettre en campagne, si leurs espions n’ont pas signalé quelque riche proie. Une fois le coup exécuté, après avoir impitoyablement massacré le voyageur qui a tenté de résister, ou bien après avoir traité avec une exquise urbanité celui qui s’est pacifiquement laissé dépouiller, ils regagnent leur village, sans oublier, dans le partage du butin, l’hôtelier qui leur a fait parvenir de mystérieux avis, l’alcade qui a signé leur port d’armes, et le curé qui leur a donné l’absolution. Telle est la singulière tolérance de l’opinion, que les voleurs, les contrebandiers, ne vivent point au Mexique séparés de la société, qu’ils n’y forment point une caste ayant pour ainsi dire ses mœurs et ses lois à part. Quiconque ne les voit pas à l’œuvre ignore ce qu’il y a d’original dans leur physionomie. Je ne m’attendais guère, je l’avoue, à me trouver jamais dans les conditions nécessaires pour compléter mes observations à cet égard, lorsqu’une rencontre que je fis à Hermosillo me procura l’occasion de voir de près cette contrebande de nouvelle espèce, et de la prendre en quelque sorte sur le fait.

Avant de quitter Guaymas pour gagner Hermosillo, le voyageur qui a pris des renseignemens sur le pays qu’il doit parcourir s’attend à traverser d’arides solitudes rafraîchies çà et là par quelques citernes. A l’aspect de la triste végétation qui frappe ses regards, des cactus et des nopals, et de quelques arbres qui seuls peuvent croître sur un terrain desséché, il reconnaît qu’on ne l’a pas trompé. C’est bien là le désert qu’on lui avait annoncé. Un soleil perpendiculaire lance sur lui des rayons dont nulle brise ne tempère l’ardeur, rendue plus insupportable encore par la réverbération d’un sol aride et crevassé. Une poussière fine, impalpable, s’élève en tourbillons sous les pieds des chevaux. Si par hasard quelque souffle d’air secoue le pâle et maigre feuillage des arbres à bois de fer ou des gommiers, les grappes rouges et pimentées de l’arbre du Pérou, cet air est brûlant ; sous son atteinte, la bouche se dessèche, les lèvres se fendent, la langue se colle au palais. Le voyageur alors se rappelle les fraîches brises du golfe auquel il tourne le dos ; déjà il aperçoit les citernes tant désirées et se plonge en imagination dans l’eau limpide qu’on lui a promise. C’est alors que commencent ses déceptions. De grandes perches formant bascules, un